Dans le retour d’expérience de la gestion de la pandémie, nous avons pu voir une heureuse surprise : celle de voir réaffirmée sur le terrain la présence vive des corps intermédiaires et leur contribution, nécessaire et souvent irremplaçable, au bien de toute la communauté. Dans les domaines de la santé, de l’assistance, de la lutte contre la pauvreté, l’apport a été considérable. Le phénomène est surprenant parce qu’il est apparu dans un contexte qui pourtant ne favorise pas cela avec une « désintermédiation » généralisée, c’est-à-dire l’idée qu’entre individu et le pouvoir politique, ou l’individu et le pouvoir économique, il n’y aurait plus de « tiers intermédiaires ». C’est-à-dire des organisations sociales, des associations libres qui d’en bas autour de valeurs et d’intérêts partagés, s’organisent et proposent des solutions. L’individu-citoyen serait immédiatement réduit à évoluer dans une volonté générale abstraite « à la Rousseau » (entendue comme plate-forme à la demande) ; l’individu-consommateur n’évoluerait plus que dans un centre commercial mondial hors-sol.
Au-delà de la surprise, il convient d’étudier attentivement le phénomène. L’IEP va lancer une étude (REX) pour évaluer la qualité des corps intermédiaires dans la crise sanitaire, complète et approfondie assurée par les meilleurs chercheurs notamment ceux associés à notre Institut. Les résultats de l’année de recherches, seront publiés dans notre prochain rapport annuel, le Titre est déjà retenu : Les personnes font-elles encore la société ? Les corps intermédiaires dans la démocratie d’aujourd’hui et de demain.
Ce travail permettra de rencontrer et confronter les points de vue entre l’IEP et les représentants des institutions à la fois politiques et économiques (patronales, syndicales et associatives). Nous essaierons d’engager une démarche selon quelques idées essentielles.
L’individu-citoyen serait immédiatement réduit à évoluer dans une volonté générale abstraite « à la Rousseau » (entendue comme plate-forme à la demande) ; l’individu-consommateur n’évoluerait plus que dans un centre commercial mondial hors-sol.
D’abord évaluer l’importance des « formations sociales » en France, notamment en volume pour les entreprises, actives dans les domaines de l’assistance publiques, de la culture, du sport, de la prévoyance, de l’éducation et de la formation professionnelle, de l’entrepreneuriat et du syndicalisme, et connaitre par qui, associations, fondations, des coopératives, des syndicats, d’autres organismes ?
Ensuite évaluer les organismes privé sociaux qui ont clairement œuvrés pendant la pandémie pour assurer une assistance notamment aux plus vulnérables.
Enfin, évaluer la problématique liée à l’individualisme – base conceptuelle et pratique de tant de doctrine politique et économique depuis deux cents ans – Est-ce bien ce qui est le meilleur pour tous ?
Il semble que l’État et le marché ont connu une longue séquence d’échecs, soit séparément, soit lorsqu’ils ont agi ensemble : Ainsi il est utile d’apprécier la qualité du « troisième pilier » : la société civile, c’est-à-dire la communauté sociale dans ses articulations libres, qui semble indispensable aujourd’hui. Une société ne semble pas gouvernable sans facteurs populaires agrégés adéquats. En leur absence, la colère et l’insatisfaction grandissent et peuvent être le ferment de mouvements politiques diviseurs animés par des pulsions destructrices.
Ce qui semble déjà évident, c’est que notre modèle « top down », le système des décisions d’en haut, s’est avéré être un échec. En effet, alors que ce modèle s’imposait – sans intermédiaires entre la personne et le gouvernement – la France reculait dans des secteurs fondamentaux pour le bien-être du peuple comme la santé, l’assistance publique, l’instruction, le pouvoir d’achat des familles.
Une politique top-down ne connaît pas la réalité et gaspille l’argent public. Il suffit de voir l’incapacité à utiliser notamment les fonds européens.
Donc la politique est appelée à se convertir, mais le système en place n’y est pas encore prêt. Il faut repartir de la réalité, en utilisant les antennes et la sensibilité et les expériences de celui qui agit dans le tissu vivant de la société, pas avec des « cabinets d’experts » qui prétendent comprendre la société par des moyens de communication souvent démagogiques. Tout comme le binôme personne-société est indissociable, le binôme société-politique l’est tout autant. Sinon, le pluralisme des partis dégénère en un marasme pourrissant qui ne s’occupe que d’amener ses partisans au pouvoir. (Loups, citant Vaclav Havel). Il ne s’agit pas seulement de « reconnaître et valoriser », mais aussi d’impliquer les corps intermédiaires dans la « co-conception » des politiques, en particulier pour les services publics.
Pour les corps intermédiaires, ce n’est pas une belle opportunité, mais le moment d’une prise de responsabilité. L’IEP, promouvant la vision d’une société subsidiaire, souhaite qu’ils dialoguent avec la politique non seulement de l’extérieur, comme souvent maintenant, avec le risque de dérives corporatistes ; mais aussi de l’intérieur, en participant avec leurs membres et représentants aux processus d’élaboration des politiques. Il faut reconstituer ou renforcer le sens de la connexion entre ses propres valeurs et intérêts spécifiques et l’architecture générale de la communauté entière.
Un test est à venir : la mise en œuvre du plan national de relance et de résilience. Le « troisième pilier », initialement exclu, a été récupéré logiquement par le Conseil National de la Refondation. Ce n’est qu’un point de départ, le travail reste totalement à réaliser, peut-être même juste à penser. Mais on ne peut plus l’éviter : une reprise consistante et tenace du pays par une implication des formations sociales organisées, ne sera possible sans une nouvelle renaissance des corps intermédiaires.