Manifeste pour une refondation politique
Alors que la société politique est en pleine recomposition en France, et qu’apparaît la nécessité d’un débat de fond sur les réponses à apporter aux difficultés du pays, au-delà des étiquettes politiques, l’Institut Éthique et Politique publie un manifeste rappelant que l’enseignement social-chrétien apporte un cadre de réflexion pertinent pour faire évoluer la politique française de manière à ce que chaque Français puisse davantage puiser en lui-même les ressources pour s’accomplir, améliorer sa situation et celle de ses proches.
La politique n’a pas pour fonction de changer les hommes mais de créer les conditions pour que chacun puisse davantage se réaliser et se libérer dans ses communautés d’appartenance. Un bon dirigeant ne prétend pas détenir la vérité. Il ne tombe pas dans le piège de prétendre transformer la réalité en fonction de son idéal – progressiste ou conservateur – ou de son idéologie – réactionnaire ou révolutionnaire – les connaissances humaines sont trop limitées pour justifier de telles prétentions.
L’enseignement social-chrétien propose comme méthode la recherche permanente de la subsidiarité, qui est une sorte de principe de précaution à l’égard de la société humaine : il consiste à appuyer l’action politique sur ce qui fonctionne, dans l’économie, dans les institutions, dans la science, dans l’action sociale pour identifier ce qui permet à ces initiatives de réussir et tenter d’en faire bénéficier un plus grand nombre, et ainsi de progresser pas à pas. La société ne doit pas être un champ d’expérimentation grandeur nature pour des théories élaborées en chambre : au contraire il appartient aux dirigeants de protéger ce qui fonctionne et de soutenir les initiatives venant du terrain.
Les lois et les règlements ne sont qu’un soutien à ces initiatives personnelles, dont déjà Tocqueville notait qu’elles étaient le véritable dynamisme de toute démocratie.
Cependant, s’il est exact que chaque homme est appelé à accomplir sa vie, il est faux d’affirmer que toute vie peut s’accomplir sans recevoir aucune aide. Certaines personnes ont besoin d’être aidées. Et peut-être, en réalité, toute personne a besoin d’être aidée, temporairement ou de façon permanente : la famille, l’amitié, la communauté locale, religieuse, et la communauté nationale sont là pour aider leurs membres à se réaliser.
La foi en l’homme n’empêche nullement d’apporter une aide à celui qui en a besoin. Au contraire, l’Enseignement social-chrétien affirme que les lois et règlements doivent en permanence être ajustés et améliorés pour lever les obstacles aux initiatives allant dans le sens de la justice, par la création de richesse ou par l’accroissement de la solidarité.
La loi ne peut pas changer les hommes : imposer la solidarité ou la refuser sont des orientations toutes deux contraires aux aspirations profondes de chacun dans sa conscience et de la société dans sa recherche d’unité. La légitimité de l’intervention de l’État se trouve dans sa capacité à soutenir les initiatives de la société. Une aide proposée par l’État n’en est une que lorsqu’elle suscite l’adhésion de ceux qui doivent la mettre en œuvre. L’on a bien vu ces dernières années que l’interventionnisme absolu de l’État moderne et le libéralisme n’étaient peut-être pas si éloignés que cela, avec comme point commun de laisser à l’arrière-plan la solidarité constitutive de la société et le rôle de l’État dans le soutien aux initiatives locales. Nous pensons que ces dernières années ont dévoilé une impasse de la politique moderne : la dureté du chacun pour soi ne fonctionne pas et conduit à renforcer l’interventionnisme forcené de l’État.
Dans les deux cas il faut renoncer à une dimension essentielle de notre humanité : l’individualisme absolu rejette toute solidarité, la solidarité absolue rejette toute responsabilité. Or les communautés humaines se construisent dans le progrès de ces deux dimensions de l’homme. On n’apprend à marcher qu’en utilisant ses deux jambes. Pour cela, il n’est pas nécessaire de changer les hommes, mais de prendre en compte ces deux aspirations « contradictoires » dans la définition des politiques.
Il reste donc à construire, notamment dans les médias, ce débat authentique sur l’évolution du rôle de l’Etat et des garanties obtenues depuis des décennies, et qui n’ont pas répondu aux enjeux de notre société. Les avantages sociaux obtenus dans notre pays par les salariés des grandes entreprises n’ont pas pu être généralisés, si bien qu’ils ont creusé l’écart entre la partie de la société la plus protégée et celle qui est le plus touchée par la mondialisation.
Ce débat est nécessaire : le mouvement des Gilets jaunes a traduit l’absence de prise en compte dans les institutions républicaines de la situation d’une partie importante de la population, travaillant à son compte ou dans de très petites entreprises. Ni le système éducatif, ni le système social et fiscal ne répondent aux besoins de cette population, alors même qu’une richesse inouïe est créée chaque jour.
Créer les conditions pour que chacun puisse davantage se réaliser et se libérer dans ses communautés d’appartenance
L’émergence de mouvements populistes de droite, du centre ou de gauche traduisent l’impasse faite par notre démocratie sur ce débat. La réaction populaire devant cette impasse est naturellement maladroite voire contre-productive, mais il est indéniable que les véritables solutions n’ont pas été mises en œuvre.
Il y a beaucoup de travail à faire et beaucoup de techniques à inventer pour permettre véritablement en France la réalisation des différentes communautés qui permettent à l’individu de devenir une personne : la famille, l’entreprise, la communauté locale et ses organisations et élus qui constituent les corps intermédiaires au sommet desquels se trouve le Parlement, la nation qui n’existe que par l’amour d’un peuple pour son histoire et les réussites passées, présentes et à venir.
Dans tous ces domaines, la technique peut être mise au service d’un véritable progrès, ou se fourvoyer et perdre le sens collectif. Dans tous ces domaines, le respect dû à nos traditions, sera un appui pour réaliser les réformes allant dans le sens du bien commun.
Nous vous proposons monsieur le Premier Ministre de vous aider dans cette démarche de « subsidiarisation » en organisant avec votre soutien et celui de la société civile, des Etats généraux du bien commun, visant à rassembler les différentes sensibilités politiques françaises autour de mesures essentielles pour renforcer les responsabilités et les solidarités dans notre pays.
Institut Éthique et Politique