I. Un CONSTAT partagé
L’interprétation du principe de subsidiarité dans le droit de l’Union européenne (UE) a été régulièrement modifiée jusqu’au dernier traité de Lisbonne (2007). Elle reste, cependant, équivoque. Ses ambiguïtés alimentent le débat entre les différentes approches du processus de construction de l’UE, qui ont été « affinées » mais qui continuent d’alimenter la controverse. Selon la perspective « fédéraliste », les États membres constituent et font évoluer les organisations supranationales conformément à leurs intérêts. Or, le principe de subsidiarité a justement été introduit de façon explicitement inverse, dans le droit communautaire par le traité de Maastricht (1992) à la suite d’une décision des gouvernements nationaux visant à concilier les positions des uns et des autres : il a remplacé l’expression « vocation fédérale » que les Français et les Allemands proposaient mais qui était inacceptable pour les Britanniques, soucieux de préserver leur souveraineté nationale. Dans sa logique historique, le principe de subsidiarité est un moyen pour les États membres de contenir le développement des institutions communautaires. Pour rappel, ce sont des penseurs catholiques qui, au XXe siècle, ont introduit ce sujet de la subsidiarité et ont même forgé ce substantif. En effet, ce thème a été abordé par de nombreux auteurs, parmi lesquels Aristote, Humboldt ou encore Dewey, mais sa présence dans le débat public à partir des années 1930 tient à la publication par Pie XI en 1931 de l’encyclique Quadragesimo anno, qui traite notamment du subsidarii officii principio. Le substantif « subsidiarité » apparaît plus tard, en 1936 en anglais et au début des années 1950 en français. Il a été créé par des théologiens allemands qui fuyaient le nazisme et il a commencé à se diffuser au moment du concile Vatican II (1962-1965).
Dans Quadragesimo anno, la philosophie subsidiaire vise à défendre les individus et les groupes contre l’action de l’échelon centrale : celui-ci est un garant du bien commun mais ne doit pas intervenir, si ce n’est pas nécessaire, dans la vie des personnes et des corps intermédiaires. Ainsi, dans le traité de Maastricht, le principe de subsidiarité est formulé pour servir de protection aux Etats membres. En effet, l’accent y est mis sur le caractère second de l’intervention supranationale par rapport à l’action nationale : La Communauté agit dans les limites des compétences qui lui sont confiées et des objectifs qui lui sont assignés par le traité.
Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union européenne ne devrait intervenir, conformément au principe de subsidiarité, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire.
L’action de l’Union ne doit pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par les différents traités.
Le principe de subsidiarité y apparaît encadré par deux autres : d’une part, il ne peut s’appliquer que dans le domaine, déterminé par les États membres, des compétences partagées entre ceux-ci et l’organisation supranationale et, d’autre part, de façon générale, les moyens mobilisés par l’Union européenne ne doivent pas être plus contraignants que ce qui est nécessaire pour atteindre le but visé et sont, par-là, soumis à une logique de proportionnalité. De plus, selon le deuxième alinéa, l’action de la Communauté en vertu du principe de subsidiarité doit être doublement justifiée par la défaillance des États membres et par la capacité des institutions de l’Union à obtenir de meilleurs résultats.
La limitation de l’action communautaire au nom de l’autonomie du niveau inférieur n’est pas nouvelle. Elle était déjà constatable dans des accords qui ne mentionnaient pas le principe mais qui s’en inspiraient. Selon le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1951), la Communauté « n’exerce une action directe sur la production et sur le marché que lorsque les circonstances l’exigent ».
L’Acte unique européen (1986) fit entrer dans le traité de Rome (1957) une disposition abrogée en 1992 et indiquant que la Communauté pouvait agir en matière d’environnement si les objectifs visés « peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire qu’au niveau des États membres pris isolément ».
Le projet de traité instituant l’Union européenne qui fut adopté, sans suite, par le Parlement européen en 1984 (le projet « Spinelli ») et qui, lui, faisait explicitement référence au principe de subsidiarité conditionnait l’action communautaire de façon similaire :
L’Union n’agit que pour mener les tâches qui peuvent être entreprises en commun de manière plus efficace que par les États membres œuvrant séparément, en particulier celles dont la réalisation exige l’action de l’Union parce que leurs dimensions ou leurs effets dépassent les frontières nationales.
En outre, une disposition du traité de Lisbonne renforce l’influence des États membres sur l’évolution de l’UE en introduisant un nouvel acteur dans les relations institutionnelles qui se nouent autour de la mise en œuvre du principe de subsidiarité. Elle prévoit, en effet, que « les parlements nationaux veillent au respect du principe de subsidiarité ». En pratique, ils reçoivent tous les projets d’actes législatifs communautaires et peuvent en contester la compatibilité avec le principe de subsidiarité. La Commission doit alors réexaminer son projet et lui apporter de nouvelles justifications. Elle peut même, pour les actes adoptés selon la procédure législative ordinaire et si l’opposition des parlements nationaux reçoit un soutien suffisant du Parlement européen ou du Conseil, être conduite à retirer son texte.
Est ainsi instauré un contrôle politique a priori du respect du principe de subsidiarité qui est confié, pour l’essentiel, à des acteurs nationaux.
II. Notre ANALYSE
Néanmoins, la place du principe de subsidiarité dans le droit communautaire confirme aussi certaines conclusions des théories « néo-institutionnalistes » : l’acquis communautaire enclenche un – engrenage – ou une « dynamique autonome » de l’Union européenne qui progressivement approfondit et étend son pouvoir centralisateur. Certains auteurs expliquent, pour l’essentiel, cette logique, par le développement d’une technocratie européenne favorisée et constituée par les élites engagées pro-communautaire. Selon d’autres auteurs, les organes de l’UE tels que la Commission ou la Cour de justice utilisent les ressources à leur disposition pour s’affirmer si bien que les gouvernements nationaux sont de plus en plus obligés de composer avec eux et font l’expérience d’une véritable « dépendance »
La Commission tire profit du principe de subsidiarité en inversant sa logique , d’au moins deux façons. En premier lieu, elle s’est engagée dans un processus de légitimation descendante de son action. En effet, elle a précisé les modalités de son application du principe de subsidiarité avec les autres institutions de l’UE. Elle a publié, dès 1992, une communication dont les préconisations ont été reprises par le Conseil européen d’Édimbourg (1992), par un accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission (1993) et par le protocole sur « l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité » annexé au traité d’Amsterdam (1997). Dans ce cadre et dans celui mis en place par le traité de Lisbonne, elle a été amenée à motiver ses décisions et à rédiger chaque année un rapport sur le respect du principe de subsidiarité. Celui-ci l’a donc servie à la fois en faisant d’elle un des agents de sa mise en œuvre et en la contraignant à démontrer l’intérêt des actions qu’elle a menées ou qu’elle veut lancer de manière autonome et descendante.
La Commission paraît aussi avantagée par les innovations introduites par le traité de Lisbonne dans lequel l’échelon infranational est maintenant pris en compte pour évaluer la nécessité de l’action communautaire. Il y est, en effet, indiqué :
L’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau régional et local selon son interprétation.
Or, la prise en considération des intérêts territoriaux, à travers notamment les interventions du Comité des régions, peut être vue comme favorable à la Commission dans la mesure où elle contribue à un affaiblissement du niveau national.
La Cour de justice de l’UE est un autre acteur essentiel parce qu’elle apparaît largement indépendante des gouvernements des États membres. Elle a par rapport à la subsidiarité un positionnement qui a deux volets complémentaires. D’une part, elle a reconnu la justiciabilité du principe dès 1991, elle a eu plusieurs fois l’occasion de statuer sur l’application de celui-ci et, pour l’instant, n’a prononcé aucune censure parce qu’il n’aurait pas été respecté par la Commission. D’autre part, elle est impliquée dans la « subsidiarité juridictionnelle », c’est-à-dire dans la décentralisation du contentieux communautaire, qui a commencé avant l’adoption formelle du principe de subsidiarité par le traité de Maastricht. À cet égard, si elle a reconnu le rôle des juges internes, elle continue de contrôler la liberté de ceux-ci et défend son statut de juridiction suprême pour ce qui concerne l’interprétation du droit communautaire.
Au bout du compte, le principe de subsidiarité est, au sein de l’UE, une ressource contraignante pour les institutions communautaires, qui selon les situations, peut être interprété de façon stratégique dans un sens toujours descendant. Il contribue ainsi a renforcé aujourd’hui l’échelon centrale pour favorisée l’intégration européenne. Il oriente ainsi le système communautaire dans une direction qui relève d’une « gouvernance » centralisée et descendante.
III. Notre PROPOSITION
Nous voulons retenir l’orientation historique conforme à sa logique originelle de celui-ci, telle qu’exprimée dans le préambule du traité sur l’Union européenne : « les décisions sont prises le plus près possible des citoyens ». À partir de là, on peut s’interroge sur la prise en compte de cette règle à travers l’association des parlements au fonctionnement de l’UE. Nous pouvons confirmer que la contribution des parlements nationaux à la construction communautaire est conforme au principe de subsidiarité mais devrait être fortement renforcé. Le rôle des parlements nationaux dans le contrôle du respect du principe de subsidiarité doit devenir un axe majeur pour mieux organiser l’action communautaire et permettre de réduire les difficultés rencontrées démocratiquement. Comme le dernier Traité établissant une Constitution pour l’Europe, contient encore des incertitudes qui continuent d’entourer la subsidiarité, tant par rapport à sa signification propre qu’en ce qui concerne sa fonction spécifique dans l’ordre juridique de l’Union en inversant sa logique, il nous semble nécessaire de proposer un nouveau traité qui sorte de ces ambiguïtés juridiques. Néanmoins, le traité de Lisbonne apporte des améliorations significatives, notamment en introduisant des moyens de contrôle de l’application de la subsidiarité. Le comportement des organes auxquels il incombe de veiller au respect du principe peut permettre de redonner son sens au principe dans le processus législatif européen. On pourrait retrouve en quelque sorte la marque d’un certain pragmatisme, particulièrement sur des problématiques éminemment sensibles.
En effet, il faut retrouver une régulation de l’exercice des compétences conforme à l’esprit de la subsidiarité ce qui devrait permettre de reprendre l’idée d’une structure à connotation confédérale. A cet égard, les innovations récentes portant sur le contrôle pourraient entraîner des transformations et servir des avancées, notamment en ce que sont désormais habilités à veiller au respect de ce principe fondamental des organes qui pourraient avoir intérêt à contribuer à ce que l’on précise les contours de la subsidiarité.