25e anniversaire de la CIDE : que signifie l’intérêt supérieur de l’enfant ?

par 24-11-2014Politique

En 1928 Janusz Korczak (Janusz Korczak Le droit de l’enfant au respect, traduction : Laffont et Unesco, Paris, 1979), célèbre pédiatre, écrivain, éducateur polonais, écrit un ouvrage sur le droit des enfants au respect, et sur la manière dont il convient de les aimer. C’est à partir de ses idées, que les Nations Unies élaborent en 1959 une déclaration sur les droits de l’enfant. Puis à la demande de la Pologne, les Nations Unies transforment en 1989 cette déclaration en Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). Cette convention stipule dans son article 3 que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Nul autre intérêt ne doit l’emporter, même pas celui des parents, s’il y a collision ».

enfant

Mais la notion d’intérêt supérieur de l’enfant, si elle est devenue « primordiale » dans la CIDE, n’est pas définie.

On sait juste que si elle entre en conflit avec d’autres intérêts, elle doit l’emporter sur tous les autres. Un groupe de travail français autour du Défenseur des droits estime qu’ »il ne s’agit pas d’une notion autonome et indépendante. C’est un objectif, une ligne de conduite ». Je reviendrai sur cette affirmation. Déjà en 1960, le doyen Carbonnier écrivait (Carbonnier, note sous CA Paris, 30 avr. 1959, D. 1960, p. 673) : « C’est la notion magique. Rien de plus fuyant, de plus propre à favoriser l’arbitraire judiciaire. L’intérêt de l’enfant est une notion à contenu variable en raison de la diversité des interprètes de cette notion : les parents, le juge aux affaires familiales, le législateur et, dans une moindre mesure, les grands-parents et les enfants eux-mêmes ».

En 1983 dans un livre intitulé « Avant d’invoquer l’intérêt de l’enfant », Joseph Goldstein, Anna Freud et Albert J. Solnit (respectivement pédiatre, psychanalyste et juriste) écrivaient : « le concept d’intérêt de l’enfant est souvent invoqué pour justifier des interventions qui s’avèrent catastrophiques pour les enfants et leurs familles. Que ce soit dans le domaine du divorce ou dans celui de la protection de l’enfance en danger, les adultes mandatés par la société : magistrats, policiers, travailleurs sociaux, médecins, interviennent au nom d’un concept aux contours vagues et qui permet bien des abus ».

La notion de l’intérêt supérieur de l’enfant est utilisée pour justifier même l’absurde

En effet cette notion est invoquée pour justifier toutes les décisions, même les plus absurdes. On peut lui faire dire tout et son contraire. Des adultes invoquent parfois indûment le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant pour justifier des mesures qui, en réalité, portent atteinte à ses droits. Ainsi on justifie les châtiments corporels, on évince un des parents en cas de divorce ou on décide d’une garde alternée de l’enfant. Ainsi on le retire à sa famille pour le confier à une autre, on décide qu’il doit régulièrement rencontrer ses parents naturels alors qu’il a peur d’eux, etc.

En 2008, Pierre Verdier (P. Verdier, ancien directeur de la DASS et magistrat. JDJ-RAJS n°280 – décembre 2008.) écrivait dans le Journal du Droit des Jeunes un article au titre choc « Pour en finir avec l’intérêt de l’enfant ». Faisant référence aux trois spécialistes cités, il constate que cette notion marque « une avancée du subjectivisme et du pouvoir des intervenants et un recul du droit ». Il donne plusieurs exemples dans le domaine de la protection de l’enfance (P. Verdier, inréretdelenfant.DEI.doc. Les dérives de l’utilisation de la notion de l’intérêt de l’enfant Assemblée Nationale 20 novembre 2010.), j’en cite deux :

« Le 14 mai 2000 naissait à Nancy le petit Benjamin. Sa mère avait accouché sous X. L’enfant était recueilli par l’ASE et placé en vue d’adoption. Mais le père, Philippe, avait reconnu son enfant deux mois avant la naissance dans le Bas Rhin. Par la suite, il n’a cessé de le réclamer auprès du PCG, du Procureur, du préfet. Lorsque l’affaire est passée devant le TGI de Nancy le 16 mai 2003 pour examiner la demande d’adoption, Benjamin avait donc 3 ans, celui-ci a constaté que cet enfant avait un père… et au nom de l’intérêt de l’enfant de connaître ses parents et d’être élevé par eux, a refusé de prononcer l’adoption et ordonné le retour. Mais la Cour d’appel, le 27 février 2004 au nom du même intérêt de l’enfant a pris la décision totalement opposée et a prononcé une adoption plénière.

Deux sœurs, 1 et 3 ans, sont confiées à la même famille d’accueil. Celle-ci se trouvant trop âgée et fatiguée (l’assistante familiale a 63 ans), demande à en être déchargée. L’ASE propose soit un placement en pouponnière soit un accueil séparé dans deux familles. Les parents sont opposés à un placement institutionnel ainsi qu’à une séparation des deux enfants. Ils ne comprennent pas que dans un département de 1,5 million d’habitants, c’est le 93, une Région Ile de France de 12 millions d’habitants, on ne puisse trouver une famille d’accueil susceptible d’accueillir deux enfants, mais c’est ce qui leur est dit.

L’inspectrice leur écrit la veille de l’entrée à la pouponnière :

« Dans l’intérêt de vos enfants un changement de lieu d’accueil a été réfléchi et recherché avec les différents professionnels chargés du suivi de la situation »

D’abord pourquoi avec les professionnels et pas avec les parents ? Associer les parents, c’est possible, je vous assure, les parents sont des gens fréquentables, moi je travaille avec. Mais dans ce service on préfère réfléchir entre professionnels, c’est plus confortable pour dire quel est l’intérêt des autres.

Ensuite pourquoi écrire « Dans l’intérêt de vos enfants », et ne pas dire la vérité ? La vérité, c’est « dans l’intérêt supérieur de l’assistante familiale qui s’estime fatiguée » ou « dans l’intérêt bien compris du service qui ne veut pas chercher une autre solution ou accorder une dérogation ». Ou à la limite : « bien que ce ne soit pas l’intérêt de vos enfants, je me vois contraint de … ». Personne n’osera écrire cela, Tartuffe n’est pas mort. L’intérêt de l’enfant permet de s’exonérer de tous les droits. Ici le droit des deux sœurs de ne pas être séparées et aussi le droit des parents d’être associés. Vous allez me dire « la pouponnière, c’était peut-être le seul moyen de laisser les deux enfants ensemble » : eh bien figurez vous qu’elles seront dans le même établissement, mais en raison de leur différence d’âge, pas dans le même groupe !

Comment définir l’intérêt supérieur de l’enfant ?

La CIDE précise l’obligation des Etats de faire respecter un certain nombre de droits : de recevoir une éducation (art. 28), d’avoir des relations familiales (art. 8), dans la mesure du possible, de connaître ses parents et d’être élevé par eux (art. 7), d’être entendu sur toute question le concernant (art. 12), et d’être respecté et considéré comme un individu à part entière (art. 16). De la même manière, la Convention énonce ce qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant, à savoir, être exposé à quelque forme de violence que ce soit (art. 19), être indûment séparé de ses parents, à moins que cette séparation soit nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 9), faire l’objet de pratiques traditionnelles préjudiciables à sa santé (art. 24), effectuer un travail comportant des risques ou susceptible de lui nuire (art. 32), ou subir toute autre forme d’exploitation ou d’abus (art. 33 à 36).

En 2007, la loi introduit dans le Code de l’action sociale et des familles (CASF) les dispositions de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant en posant, dès l’article 1er que : « l’intérêt de l’enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs, ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant » (article L.112-4). Je partirai donc de ce que cette nouvelle loi considère comme l’intérêt de l’enfant, à savoir : la satisfaction de ses besoins et le respect de ses droits. Le respect de ses droits me parait plus simple à évoquer, je commencerai par lui, puis j’aborderai la prise en compte de ses besoins fondamentaux.

1 – Le respect de ses droits

« L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Nul autre intérêt ne doit l’emporter, même pas celui des parents, s’il y a collision ». Et il y a souvent collision ! Dans ce cas deux juges peuvent être appelés à intervenir lorsque les droits des enfants ne sont pas respectés : le Juge des enfants (JE) pour toute situation qui relève de la « protection de l’enfance », le Juge aux affaires familiales (JAF) pour tout ce qui concerne les divorces, la filiation en général. Ils nomment les places de chacun avec des règles et des interdits. Ils arbitrent entre des revendications opposées. L’intérêt de l’enfant peut les amener à restreindre un droit, celui d’un parent par exemple.

Le but de l’intervention du juge doit être d’assurer le développement harmonieux de la personnalité de l’enfant dont l’intérêt est d’être protégé « dans sa sécurité, sa santé, sa moralité ». Dans la plupart des jugements, on retrouve une référence à l’intérêt de l’enfant, mais souvent sans précision. Même si les juges tiennent compte des enquêtes sociales, des avis médicaux et psychologiques … et même s’ils essaient de tenir compte de l’avis de l’enfant ; leur décision est souveraine, elle est souvent prise en fonction de leur personnalité !

La protection de l’enfance

Il était grand temps de réformer les lois sur la protection de l’enfance, car la souffrance des enfants retirés à leurs familles est immense. Le tragique de leur situation est qu’ils ne sont ni pris, ni laissés par leurs géniteurs. Ni pris, puisque ceux-ci ne répondent pas à leurs besoins, etc. Ni laissés, puisqu’ils n’acceptent pas une solution plus satisfaisante pour l’enfant comme son adoption.

Pire encore, les enfants « placés » ne sont pas suffisamment protégés par la société :

  • de nombreux placements sont réalisés trop tard alors qu’il y a assez d’éléments pour dire que les enfants sont en danger,
  • des changements de familles d’accueil sont encore trop fréquents, alors que nous savons que l’intérêt de l’enfant est d’avoir un lien continu et fiable pour sa construction psychique,
  • des retours en famille naturelle sont trop souvent catastrophiques. Un bébé qui a été brutalement battu est rendu à ses parents, alors qu’il y a de fortes probabilités pour que cela recommence,
  • des visites à leurs parents sont insupportables pour certains enfants qui sont déstabilisés et même gravement perturbés pendant des semaines ou des mois. Plus de 20% des jeunes enfants placés se plaignent d’avoir souffert des rencontres imposées avec leurs parents.

L’idéologie actuelle insiste sur le droit des familles naturelles. Lorsqu’un enfant est séparé de ses parents pour négligence ou maltraitance, son intérêt n’est pas forcément comme on l’entend souvent dire, de le rendre à ceux-ci, mais d’assurer à l’enfant la meilleure évolution psychique possible. Un grand nombre de souffrances, de pathologies d’enfants et de répétitions de placements à la génération suivante, pourraient être évitées par une évaluation plus précise des relations parents enfant accompagnée d’une séparation précoce lorsqu’elle est nécessaire. Les hésitations des services sociaux et judiciaires ont souvent des conséquences catastrophiques pour les enfants.

Je ne peux que me réjouir de la nouvelle juridiction qui va enfin dans ce sens, lorsqu’elle écrit :

  • Art. L.221‐1 CASF (missions de l’ASE) : veiller à ce que les liens d’attachement noués par l’enfant avec d’autres personnes que ses parents soient maintenus, voire développés, dans son intérêt supérieur.
  • Art. 375 CC : possibilité pour le juge des enfants de prononcer une mesure d’accueil supérieure à deux ans afin de permettre à l’enfant de bénéficier d’une continuité relationnelle, affective, géographique dans son lieu de vie.

Protection judiciaire en matière d’adoption, GPA, PMA, etc.

Dans une affaire concernant l’adoption internationale, la CEDH a condamné le Luxembourg pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale de l’adoptante célibataire et de son enfant adopté au Pérou. Elle a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant devant primer, les juges luxembourgeois ne pouvaient raisonnablement passer outre au statut juridique créé valablement à l’étranger et correspondant à une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, et ne pouvaient se dispenser d’un examen concret de la situation en écartant la reconnaissance des liens familiaux qui préexistaient de facto et en faisant prévaloir la loi luxembourgeoise qui n’autorisait l’adoption plénière qu’aux seuls couples mariés sur la réalité sociale et sur la situation des personnes concernées (CEDH, Wagner c/ Luxembourg, 28 juin 2007, n°76240/01.).

Alexandre Urwicz, Président de L’ADFH (Association des familles homoparentales) écrivait dans Le Journal Libération le 24 septembre dernier, « GPA, PMA : il y a urgence à agir dans l’intérêt de l’enfant ». Sinon, dit-il nous faisons de ces enfants « les nouveaux bâtards, les nouveaux parias du droit civil ». Il poursuit : « Refuser l’identité d’un enfant, c’est le mettre en danger dans sa construction personnelle. Lorsqu’on menace l’identité d’un enfant, nous devons tous faire front pour le protéger, pour protéger notre avenir à tous. Il n’y a pas d’enfant bien né ou mal né. Un enfant est un enfant. La France doit protéger tous ses enfants, qu’ils soient conçus par GPA, PMA, sous la couette, par accident ou non, qu’ils soient adoptés, qu’ils soient dans des familles recomposées, monoparentales ou homoparentales ». Dans cet article, Urwicz parle de construction personnelle, d’identité, d’intérêt de l’enfant et de droits de l’enfant. Je suis d’accord avec lui en ce qui concerne le droit à accorder aux enfants, mais je reviendrai sur les autres notions.

Julie Pascal (Les perspectives d’évolution du droit de la filiation en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant. Julie Pascal. http://www.lepetitjuriste.fr/wp-content/uploads/2013/07/MEMOIRE.pdf?aa0226) va dans le même sens, dans un mémoire elle écrit : « La notion d’intérêt supérieur de l’enfant influe chaque jour davantage sur des institutions telles que le mariage, le divorce, l’adoption, ou encore la procréation. Elargir le régime de l’adoption permettrait de réellement prendre en compte l’intérêt de l’enfant au cœur du projet parental dans les familles de même sexe, mais aussi l’intérêt d’un enfant élevé dans une famille recomposée, en leur offrant la protection juridique reconnue à tout enfant élevé par ses deux parents biologiques ».

Pour elle, « l’évolution législative a effectivement permis de dissocier la transgression des parents du sort de leur enfant, afin de protéger l’intérêt de ce dernier. Aujourd’hui, en France, c’est l’enfant pourtant totalement étranger à sa propre conception, qui pâtit le plus de la primauté donnée à l’ordre public par notre droit sur la réalité de sa vie familiale. Mais n’est-il pas, au sens de la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’intérêt supérieur de l’enfant et dans le respect de sa vie familiale de passer outre le caractère illicite de sa conception ? »

Elle termine en disant : « Les parents mettent l’état et l’enfant devant le fait accompli, la loi ensuite n’a plus qu’à considérer que c’est l’intérêt de l’enfant ».

Que l’enfant n’ait pas à payer pour les fautes de ses parents est justice. Cela va dans le sens biblique qui nous recommande à de nombreuses reprises de faire droit à l’orphelin (Deutéronome 10.18). Mais Julie Pascal assimile protection judiciaire et intérêt supérieur de l’enfant. La première est légitime et incontestable mais insuffisante. Elle confond la partie et le tout. Le droit de l’enfant n’est qu’un des aspects de l’intérêt de l’enfant. Car l’enfant n’a pas seulement le droit d’être protégé, il a besoin d’être satisfait dans ses besoins fondamentaux.

2 – La satisfaction de ses besoins fondamentaux

Le préambule de la CIDE reconnaît que « l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans son milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension ». Plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte en 2002 une déclaration qui engage les Etats à considérer « le développement physique, psychologique, spirituel, social, affectif, intellectuel et culturel des enfants à titre de priorité nationale et mondiale ».

Dès 1979, Mia Kellmer‐Pringle, professeur de psychologie à l’université de Birmingham, établissait une liste des principaux besoins de l’enfant[10] :

Besoin d’amour et de sécurité : son besoin fondamental est d’établir un lien solide avec sa mère ou une figure d’attachement. Naturellement une mère a du plaisir à s’occuper de son bébé, elle lui est dévouée (concept de préoccupation maternelle primaire cher à Winnicott). On sait maintenant que pour un bébé, la qualité des soins qu’il reçoit est bien plus importante que la filiation biologique. Il a besoin de savoir que ses parents sont heureux qu’il existe, qu’ils l’acceptent d’une façon inconditionnelle sans tenir compte de son sexe de son apparence physique de sa personnalité (une fillette se sent rejetée si ses parents espéraient un garçon et vice versa). Il n’est pas nécessaire d’être les parents naturels pour satisfaire ces besoins (un enfant peut être beaucoup mieux accueilli, trouver plus d’amour auprès d’une autre famille qu’auprès de ses parents biologiques).

Ensuite elle parle des besoins d’éloge, de faire de nouvelles expériences, d’avoir des responsabilités, etc.

L’évolution récente de la société, oblige à préciser d’autres besoins de l’enfant. Lévy Soussan[11] dans une conférence récente, explique que pour satisfaire les besoins fondamentaux de l’enfant : « on peut se passer du lien du sang, à condition que la scène de naissance soit réelle ou possible (fantasmée). L’enfant qui n’a pas de liens biologiques avec ses parents, a encore plus besoin de parents psychiques pour construire le scène de naissance. Il a besoin que celle-ci soit cohérente, crédible, qu’elle ait un sens (« Pourquoi vous faites l’amour puisque vous ne pouvez pas avoir d’enfant ») ».

« Maintenant il y a rupture du lien séculaire entre engendrement et filiation. C’est quelque chose qui ne s’est jamais fait. L’égalité des sexes est une exigence démocratique, mais pas l’annulation de la différence des sexes. Les parents ont une dette de sens, de langage vis-à-vis de l’enfant. On doit tous affronter la différence des sexes ».

Pour Mark Regnerus[12], son étude publiée en 2012 prouve que le modèle familial reposant sur l’ « union conjugale stable du père et de la mère biologique » – lequel ressemble de plus en plus à une « espèce menacée » (« like an endangered species »), demeure « l’environnement le plus sécurisé pour le développement de l’enfant ». Toute autre combinaison porte préjudice à moyen et long terme à l’équilibre émotionnel de l’enfant, quelles que soient par ailleurs les qualités humaines et éducatives des homosexuels que personne ne conteste. Dans son étude, les enfants élevés par des lesbiennes manifestent statistiquement plus de dépressions que les autres enfants. Les adultes interrogés disent également avoir été plus souvent victimes d’abus sexuels (23% contre 2% chez les enfants issus de couples hétérosexuels mariés) et souffrent plus de précarité économique (69% dépendent de prestations sociales pour 17% de ceux élevés par leurs père et mère).

Des études montrent[13] qu’on n’élève pas les garçons de la même manière que les filles. Les attentes des parents sont différentes. Le bébé fait très vite la différence entre son père et sa mère. Il a des interactions différentes. La mère cherche le regard de son enfant le sollicite lui sourit ; elle est plus dans le registre du bien-être de la tendresse du réconfort. Le père a des échanges plus physiques, plus stimulants, des jeux de corps à corps qui aident l’enfant à maîtriser son agressivité. Il taquine volontiers l’enfant, se montre plus déstabilisateur.

Les rôles peuvent être inversés. Dans de nombreuses familles l’homme est maternel et la mère fait fonction d’autorité. Un équilibre peut être trouvé dans ces couples, mais l’enfant en souffre.

Je reviens sur l’intervention d’Urwicz déjà citée : « Refuser l’identité d’un enfant, c’est le mettre en danger dans sa construction personnelle ». Il a raison en partie (il oublie la différence qu’il y a entre les droits d’un enfant et son identité), mais ne pas satisfaire certains de ses besoins fondamentaux, n’est-ce pas aussi le mettre en danger dans sa construction personnelle ? Ceux qui prétendent que les homosexuels sont des parents aussi compétents que les autres, utilisent des arguments qui sont centrés sur la souffrance des adultes et pas sur l’intérêt de l’enfant. Tout enfant se représente naturellement comme issu d’une union entre un homme et une femme. Séparer sexualité et procréation est possible maintenant, mais ce n’est pas dans l’intérêt de l’enfant. L’idéal pour lui c’est lorsque tendresse, sexualité et conception sont liées.

Guillaume Fond favorable au mariage pour tous, reconnaît dans Le Monde[14] que « nous n’avons pas encore de retour de la part des enfants devenu adultes sur leur expérience de la vie homoparentale. Aucun enfant ne semble s’être plaint d’avoir grandi dans une structure homoparentale ». Cet argument est léger et peu honnête. J’ai rencontré plusieurs enfants perturbés par l’homosexualité d’un parent et il suffit de naviguer sur internet pour trouver d’autres exemples. Une fillette 9 ans a des troubles du sommeil depuis qu’elle a découvert l’homosexualité de sa mère qui vient de se séparer de son père pour se mettre avec sa copine. La fillette voudrait empêcher sa mère de coucher avec celle-ci. L’incompréhension du divorce et de l’homosexualité est une double difficulté longtemps insurmontable. Mais j’ajoute qu’une insomnie peut aussi apparaître lorsqu’un enfant découvre qu’un de ses parents a un amant.

Eric Dubreuil dans un livre[15] écrit : « Le désir d’enfant n’est pas moins fort chez un homosexuel que chez un hétérosexuel. Un homosexuel doit avoir le droit d’avoir des enfants s’il le désire ». Dubreuil passe en une phrase du désir d’enfant au droit d’avoir un enfant ! Je rappelle à ce dernier que le fondement de l’adoption est une famille pour un enfant et non l’inverse, que dans l’Article 21 de la CIDE, l’adoption est décrite comme un mode de protection de l’enfant.

La loi autorise maintenant le parent non biologique à adopter l’enfant de son compagnon ou de sa compagne, mais elle ne dit pas que l’adoption est un processus complexe et douloureux et que dans de nombreuses situations la greffe ne prend pas. Maintenant un enfant peut avoir trois mères et deux pères, celui qui nait par GPA peut se demander longtemps pourquoi sa mère l’a abandonné. On multiplie les difficultés auxquelles on les confronte, combien de temps va-t-on encore prétendre qu’on agit au nom de l’intérêt de l’enfant !

Je reviens sur la définition de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant et contrairement à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, je considère quelle est claire dans le célèbre jugement du roi Salomon[16]. La mère de l’enfant pour lui est la femme qui dit : « qu’il vive même si ce n’est pas avec moi ». Faisant passer l’intérêt de l’enfant avant le sien propre, elle prend le risque fou qu’il soit élevé par l’autre femme. Le désir que l’enfant vive, que la vie triomphe est plus important que tout pour elle. L’intérêt supérieur de l’enfant est d’être élevé par des parents qui le désirent pour lui et non pour eux.

Maintenant c’est l’inverse on veut avoir un enfant, même si celui-ci risque d’en souffrir. L’enfant est devenu un objet de consommation, que ce soit chez des couples homme femme comme chez des couples homosexuels.

La résidence alternée nuit à l’intérêt de l’enfant

« Sous le lobby des associations de droits des pères, la loi de mars 2002 sur l’autorité parentale, a légalisé la résidence alternée que quelques parents choisissaient de concert, mais elle a également accordé aux juges aux affaires familiales le pouvoir de l’imposer à tout enfant de couples qui se séparent » écrit le professeur B Golse[17]. Il ajoute : « de nombreux enfants soumis à des résidences alternées ou rythmes d’alternance inappropriés, présentent une souffrance psychique importante dont les conséquences apparaissent rapidement ou n’apparaîtront qu’à l’adolescence et à l’âge adulte ».

De nombreux spécialistes de la protection de l’enfance s’inquiètent en constatant les troubles du développement des enfants. Avant six ans, les enfants ont besoin de repères stables dans leur vie, surtout après le traumatisme de la séparation des parents. La garde alternée est une catastrophe pour l’enfant jeune, même si les parents s’entendent. C’est souvent une maltraitance.

Heureusement le rapport de la Direction des affaires civiles et du sceau (DACS) de janvier 2014 établit que le principe de résidence alternée après séparation des parents est contraire à la protection et aux besoins de l’enfant. Il est temps que notre société cesse de considérer l’enfant en terme de partage des biens et d’égalité entre les parents, pour considérer l’intérêt supérieur de l’enfant.

En conclusion, je dirai qu’il est juste d’accorder des droits aux enfants, mais il est aussi important de respecter leurs besoins fondamentaux. Or pour des raisons manifestement idéologiques, certains ne sont pas reconnus. Quand l’amour se refroidit, les adultes parlent de leurs droits et quand cela les arrange du droit des enfants. L’intérêt supérieur de l’enfant a déjà été défini précisément par le roi Salomon, mais il est d’une telle exigence qu’on préfère dire qu’il est impossible à définir.

Francis MOUHOT, Psychologue

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