Le statut de l’embryon : constat et propositions

par 12-06-2013Politique

Il faut bien le reconnaître, nous nous trouvons dans une impasse idéologique quant à la nature de l’être prénatal, c’est-à-dire le statut de l’embryon – voire du fœtus – et ce quelles que soient les modalités de sa procréation. Pour certains, il s’agit d’un « amas cellulaire » dépourvu de toute valeur propre, autre qu’utilitariste, avant son éventuel transfert. Pour d’autres, c’est une « personne humaine » dès la conception, dont la protection et le respect s’imposent en toutes circonstances, véritable « patient », vis-à-vis de qui s’édifie déjà une forme très spécifique de médecine.

statut de l'embryon

1. Notre Constat : Une grande incertitude quant au statut de l’embryon

Au cours d’une visite au Genopole® d’Evry le 22 février 2012, François Hollande a indiqué qu’il proposerait au parlement de « modifier la loi de bioéthique de 2011 pour autoriser la recherche sur les cellules souches embryonnaires. (…) Ainsi nous rattraperons notre retard sur d’autres pays et nous favoriserons le retour des post-doctorants partis à l’étranger ».
Avant tout commentaire, précisons que la recherche sur les cellules souches embryonnaires est déjà possible à titre dérogatoire dans la loi du 7 juillet 2011 (trente-sept projets de recherches ont été autorisés par l’Agence de la biomédecine).

Or le débat bioéthique ne mérite-t-il pas mieux que des engagements solennels ?

Et ne pourrait-il être étoffé, montrant ainsi la maturité d’une décision quant au statut de l’embryon prise dans un sens ou l’autre? Dans ce domaine également, la responsabilité politique est engagée, et le principe de précaution trouve sa pleine valeur… Comment concilier les valeurs de notre démocratie, les droits de la personne, les intérêts vitaux de la société, avec les exigences d’une recherche biomédicale soumise à la pression de la productivité scientifique motivée par des retombées tant économiques, qu’intellectuelles et en terme de publications, sources de classements internationaux ?

Face à cette levée possible d’interdits, des communautés scientifiques et des états apportent une réflexion.

Ratifiée solennellement le 13 décembre 2011, la convention d’Oviedo pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, a réaffirmé la nécessité de prendre en compte les graves inquiétudes induites par « des actes qui pourraient mettre en danger la dignité humaine par un usage impropre de la biologie et de la médecine ». La « dignité humaine », la « primauté de l’être humain » constituent les repères fondamentaux auxquels devraient être ramenées des décisions aux conséquences déterminantes : « L’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science ». Les nouveaux domaines d’application de la biomédecine, les possibilités offertes par des logiques et des techniques capables de régénérer des organes à partir de cellules souches (pluripotentes adultes ou embryonnaires) voire de reformuler notre identité constituent autant de faits inédits qui intriguent et inquiètent.

Le domaine biomédical « performatif », sous-tendu par une volonté d’amélioration et d’augmentation de potentiel de l’homme voire de sa transformation, est très souvent rétif à la moindre contestation, s’appuyant sur des options décidées entre « experts ». Sa capacité de maîtrise de l’être humain, par le recours à des techniques de sélection, de tri, de manipulation et de recombinaison, palliant ses imperfections mais risquant aussi de changer la nature de l’homme, est un changement de paradigme. La génétique, les neurosciences et les nanosciences constituent des domaines significatifs de menaces directes sur l’intégrité, les droits de la personne, son autonomie et sa faculté de discernement, sur le respect de sa sphère privée. Le concept de responsabilité scientifique est peu évoqué et ne suscite pas les débats publics qui s’imposeraient. L’appropriation et l’exploitation de certains savoirs risque alors de s’exercer au détriment du bien commun. Les débats autour de la « brevetisation du vivant » ou de la « marchandisation des corps » en témoignent.

2. Notre analyse : Un grand danger pour la démocratie

Les axes de la recherche biomédicale relèvent parfois d’impératifs opportunistes ; elle vise alors une rentabilité peu soucieuse de l’intérêt général soumise à la convoitise incontrôlable des marchés financiers. Nos controverses bioéthiques apparaissent totalement décalées par rapport à l’attente de nos concitoyens les plus vulnérables qui sont préoccupés par l’accès à des traitements vitaux disponibles. En effet, avec le prix Nobel de médecine 2012 qui a été remis au japonais Shinya Yamanaka, nous pouvons reprogrammer des cellules adultes en cellules totipotentes, démontrant ainsi l’inutilité de poursuivre les recherches menées sur des cellules souches embryonnaire.

On le sait, l’autorité des recommandations est bien limitée en matière de bioéthique, là où prévalent bien souvent les idéologies, les modes scientifiques du moment, des intérêts institutionnels voire d’équipes en particulier, ainsi que les pressions économiques de toute nature. La responsabilisation des acteurs doit donc être encouragée autrement que par des avis sentencieux ou des résolutions de complaisance sans la moindre portée. L’exercice de la responsabilité dans le domaine bioéthique tient donc à la qualité d’un débat ouvert et soucieux de l’être humain plutôt qu’à des prises de position précipitées, visant à satisfaire des intérêts corporatistes.

La mission première de la médecine est de soigner

Une même attention doit être témoignée à toutes les questions de bioéthique. Il est important de rendre cohérente la médecine moderne en réconciliant la recherche et la pratique biomédicales. Les mutations biomédicales contribuent trop souvent à éloigner le médecin de sa mission première qui est au quotidien, l’acte de soin. Faute d’une culture partagée de la réflexion bioéthique, les positions extrêmes risquent d’accentuer les clivages au sein de la société. L’exigence de faire prévaloir les principes de la démocratie, dans un environnement biomédical et scientifique où s’accentuent les vulnérabilités et s’effritent nos solidarités, peut être à juste titre considérée comme une urgence politique.

Statut de l’embryon : avant 22 semaines, il est un déchet opératoire

Considérer avec légèreté ou même dédain les arrêts rendus le 6 février 2008 par la Cour de cassation serait une erreur d’appréciation. Ils ne sont pas sans portée et traduisent plus qu’une simple compassion portée à des individus attachés à des valeurs d’arrière-garde. L’exigence de parents refusant les « subtilités scientifiques » accordant dignité à un fœtus à partir de 22 semaines d’aménorrhée ou d’un poids de 500 grammes, et la refusant en deçà (il s’agit alors d’un «déchet opératoire»), est significative d’une nouvelle résistance éthique face aux mentalités matérialistes. La dignité humaine ne se quantifie pas. Les magistrats de la Cour de cassation n’ont pas provoqué un séisme dans leur interprétation de la loi. Ils se sont contentés de rappeler l’article 79-1, alinéa 2 du Code civil pour en conclure que rien ne s’oppose à ce qu’un enfant mort-né puisse être nommé et inscrit sur le livret de famille, et ainsi se voir reconnaître une existence humaine.

Que parmi nous des parents éprouvés par la mort avant naissance d’un enfant attendu refusent d’abandonner son corps au scalpel du chercheur ou à l’incinérateur révèle des liens anthropologiques puissants : nous ne pouvons que les partager. Qu’ils souhaitent associer cette existence fugace, énigmatique, à l’histoire de leur famille nous donne à réfléchir sur le sens de la vie. Une telle position socialement incompréhensible donc « invivable » est souvent délicate à assumer. Elle procède d’une conception élevée de la dignité humaine et du respect inhérent à toute existence humaine.

Les professionnels de santé intervenant dans les services de gynécologie obstétrique ou de réanimation néonatale sont témoins de relations d’une nature exceptionnelle dont l’intensité est accentuée par la précarité des circonstances, la vulnérabilité des uns et des autres personnellement exposés à la mort d’un être qui n’aura jamais vraiment vécu parmi nous. Ils justifient même une approche en termes de soins palliatifs à l’intention du fœtus et de la mère qui porte cet enfant en fin de vie. Le fœtus est souvent habillé avec des vêtements de poupée afin d’être présenté aux siens, embrassé et photographié avant la séparation. C’est dire l’importance des symboles et des rites, la signification des mots et des attitudes, la valeur de nos solidarités. À leur manière, les arrêts rendus par la Cour de cassation en témoignent et ont des conséquences éthiques évidentes.

Les expressions presque caricaturales d’une idéologie scientiste indifférente aux conséquences humaines et sociales des mutations qu’elle tente d’imposer suscitent plus qu’on ne le pense un sentiment d’insécurité, de violence et de vulnérabilité. De tels bouleversements menacent les valeurs et les repères indispensables à une existence sociale cohérente et apaisée. Il est urgent que les discussions relevant de la bioéthique soient à la hauteur de leurs enjeux, et ne se réduisent pas à une fascination pour les aspects les plus spectaculaires et «prometteurs» des pratiques biomédicales.

3. Nos propositions pour le statut de l’embryon

Le texte de loi de 2011, qui interdit les expérimentations sur l’embryon tout en acceptant un régime dérogatoire lorsque le CCNE l’autorise, rappelle cet interdit fondamental de l’utilisation d’un être humain (reconnu ou en puissance) comme un matériel. Bien qu’ouvrant une brèche dans un principe qui devrait rester intangible, il mérite donc d’être défendu et nous considérons que seul un texte issu de nouveaux États généraux de la Bioéthique aurait une quelconque légitimité pour l’abroger. Il s’agit aussi de préserver une bonne pratique démocratique.

Certains observateurs le remarquent avec gravité : les pratiques extrêmes de la biomédecine provoquent un changement des représentations de l’homme et de la vie.

Ainsi sont progressivement abolis des repères difficilement acquis par des siècles de civilisation, notamment dans le domaine des droits de l’homme. Dans un contexte à ce point incertain et dépendant de considérations et d’enjeux internationaux indifférents aux quelques règles de bioéthique auxquels nous semblons encore témoigner quelque attachement, il y a urgence à élaborer publiquement, par la médiation d’une approche pluraliste, argumentée, cohérente et transparente, les principes politiques nécessaires à la détermination de décisions fondées et respectées. C’est ce qu’avaient démontrés, les États généraux de 2009 en élaborant une bioéthique respectueuse des principes du vivre-ensemble.

De nouveaux états généraux seraient utiles.

Ils pourraient réfléchir à la mise en œuvre d’idées nouvelles :

  • Développer la notion de « démocratie sanitaire » dans l’environnement biomédical en imposant un devoir de vigilance et une capacité d’intervention dans le champ de l’éthique appliquée à l’innovation scientifique.

Pour cela il faudra se doter des dispositifs nécessaires en termes de gouvernance, de concertation, de procédures dans l’évaluation et l’arbitrage des choix. (Il faut pouvoir assumer pleinement les responsabilités qui s’imposent à la recherche dans un contexte d’extrême complexité).

  • Impliquer davantage les organismes en responsabilité de la recherche scientifique académique, qu’elle soit publique ou privée.
  • Concilier l’éthique pratique, celle de l’ordinaire et de l’expérience immédiate avec une certaine conception de l’éthique théorique. Cette dernière est souvent le fruit de considérations savantes, parfois empreinte d’esprit de compétitions et de performances. Incarnée par des spécialistes et des institutions, elle campe parfois sur des positions dogmatiques hostiles à la moindre contestation.
  • Énoncer un cadre de valeurs communes dans la détermination concertée et transparente des missions confiées aux chercheurs et aux médecins intervenant dans le champ de la biomédecine.

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