Emploi : et si la solution était la chaine de CDD ? [Proposition]

par 27-10-2022Economie

C’est un constat. La France serait un des pays du monde dont le droit du travail est le plus complexe : le code du travail annoté aux éditions Dalloz comptait ainsi plus de 3000 pages déjà il y a quelques années. Cette complexité se retrouve dans les contrats de travail, CDI ou CDD mais aussi dans tous les autres : selon Alain Dupays, « il existe en France 38 formes de contrats de travail différents, 27 régimes dérogatoires et une dizaine d’organisations du temps de travail. » [1]  Une complexité dans laquelle les employeurs se perdent et qui débouche sur un taux très élevé de litiges après un licenciement.[2] Ainsi, les employeurs freinent les embauches, sauf en période de pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs comme aujourd’hui après la crise sanitaire. 

CDD en chaine : alternative pour l'emploi

Il est opportun, à présent, d’assouplir les relations du travail en France

En France, le problème est « endémique ». Il serait plus que jamais opportun de relancer l’idée d’un assouplissement des relations du travail en France : il s’agit là d’un des points clé de notre dialogue avec le gouvernement allemand et les milieux économiques d’Outre-Rhin, avec la Commission européenne, ainsi qu’avec les investisseurs étrangers, notamment anglo-saxons.

Les caractéristiques du « contrat de travail unique »

Certains, dont Jean Tirole, ont proposé il y a quelques années de simplifier ce système par l’adoption d’un « contrat de travail unique », en assouplissant par ailleurs fortement le régime des licenciements économiques[3]. Le contrat unique en général proposé présenterait quatre grandes caractéristiques[4] :

  • le contrat unique serait un CDI ;
  • en cas de licenciement, les exigences juridiques pesant sur l’entreprise seraient allégées ; 
  • cet allègement des exigences juridiques serait compensé par le paiement, au moment du licenciement, d’une indemnité proportionnelle à l’ensemble des salaires versés tout au long du contrat de travail ;
  • ce type de contrat faciliterait l’embauche, en facilitant le licenciement éventuel, car, il atténuerait fortement le risque de contentieux devant les prud’hommes.

A cette solution, certaines organisations syndicales de salariés sont réticentes (CFDT), d’autres  opposées à cette évolution (CGT). Les organisations syndicales précisent aussi que si le droit du travail est si complexe, c’est en grande partie dû aux multiples dérogations aux règles générales, dérogations liées aux pressions qui seraient exercées par le patronat[5].

L’Institut Ethique et Politique propose la chaîne de CDD

Pour sortir de cette impasse, l’IEP a proposé de contourner les obstacles psychologiques et les débats stériles résumés supra entre partisans de l’unification des contrats de travail et ceux qui souhaitent prioritairement un assouplissement du régime des licenciements économiques. Il s’agirait de rendre prévisible comptablement la non-continuation des relations du travail – c’est-à-dire de « monétiser » le risque de contentieux devant les prud’hommes à la suite d’un licenciement, risque qui est un obstacle au développement de l’emploi, surtout dans les PME. Et ce par un système de « chaîne de CDD ».

Des ruptures conventionnelles plus nombreuses que jamais…

Chacun aura lu dans la presse que les ruptures conventionnelles sont en France plus nombreuses que jamais, ce qui signifie que les gens, quelle que soit la situation (licenciement déguisé ou non), veulent s’arranger à l’amiable, c’est-à-dire que les employeurs n’hésitent pas à verser et les salariés à empocher un chèque supra-légal, plutôt que de suivre d’autres règles plus complexes et soi-disant protectrices imposées par le législateur français en droit du travail.

Une succession de contrats à durée déterminée : alternative dans le système actuel

Il s’agirait, sans modifier le système actuel des CDD et des CDI, de proposer une solution alternative sous la forme d’une « chaine de CDD », sorte de CDI très assoupli pour l’employeur, mais plus sécurisant que le CDD « sec » pour le salarié, système qui traiterait en même temps la question de l’assouplissement des « licenciements » par une procédure de « non-renouvellement» sans aucun motif et moyennant finances. Il est à noter que l’Armée française a recours à un système semblable pour inciter les éléments de valeur à « rempiler » moyennant une indemnité substantielle en fin de contrat en remerciement des services rendus. Mais le que nous proposons ici serait un peu différent.

Modalités pratiques de la « chaîne de CDD » : différents cas de figure

De quoi s’agit-il ? L’employeur embauche un salarié avec un CDD en s’engageant par ailleurs – par une « lettre d’intention » (cf. infra) – à le maintenir dans l’entreprise par exemple pour 5 CDD de suite d’une durée de 18 mois chacun (ou de 30 mois comme le propose la CPME). Par la suite, premier type de situation, l’entreprise enregistre brutalement une baisse de commandes au bout du 1er CDD : l’employeur ne renouvelle donc pas l’embauche par un 2e CDD, et ce sans présenter aucun motif, moyennant le versement d’une grosse indemnité, car il se sépare alors très rapidement de son collaborateur.

Deuxième cas de figure : la collaboration s’arrêt au 4e CDD

2e type de situation : après 3 CDD qui s’enchaînent sans histoires, l’entreprise perd malheureusement d’importants clients au cours du 4e CDD : à la fin de ce 4e CDD, l’employeur ne renouvelle donc pas l’embauche par un 5e CDD, moyennant cette fois une petite indemnité. Eh effet, l’entreprise a conservé son collaborateur pendant 4 CDD sur les 5. Cette indemnité de non renouvellement est donc inversement proportionnelle à l’ancienneté dans l’entreprise (cette ancienneté pouvant par ailleurs faire l’objet, sur le plan conventionnel, d’un « cadeau de départ » à ce titre). En échange de ce chèque remis lors du non renouvellement d’un 4e CDD, le salarié « non renouvelé » s’engage à ne pas attaquer l’entreprise devant les prud’hommes. Les deux partis se quittent bons amis.

Les documents juridiques qui encadrent ce fonctionnement

Sur le plan juridique, la « chaîne de CDD » comporterait lors de l’embauche initiale deux documents :

  1. le contrat de travail, c’est-à-dire le 1er CDD prévu dans la « chaîne » ;
  2. une « lettre d’intention » séparée, signée par l’employeur et contresignée par le salarié, annonçant l’engagement de l’employeur d’accorder au nouveau salarié une succession de plusieurs CDD (par exemple 3, 4, 5 CDD de suite), en cas de succès de l’entreprise

A l’issue du 1er CDD, l’employeur hésitera, malgré la conjoncture peut-être médiocre ou la perte de certains clients importants, à ne pas le renouveler par un 2e CDD, car un gros chèque sera à verser.

Le principe d’indemnités décroissantes

Ainsi, en cas de rupture de la chaîne au bout d’un, 2, ou 3 CDD, un chèque de montant décroissant dans le temps serait versé automatiquement à l’issue de l’Xe CDD non renouvelé, et donc de petit montant à l’issue de l’avant-dernier CDD s’il n’est pas renouvelé. L’ « indemnité de non renouvellement » serait plus faible après plusieurs CDD parce que le salarié aura alors bénéficié d’une plus longue période d’embauche et qu’il aura accumulé des droits au chômage plus importants : il  bénéficiera donc d’un filet de sécurité plus solide, lui permettant de se passer d’une indemnité importante en fin de « chaîne » au titre du non renouvellement d’un des derniers CDD de la « chaîne ». Bien entendu, comme nous l’avons dit plus haut, il pourra bénéficier en outre, par ailleurs, d’un « cadeau de départ » lequel, en revanche, sera fonction de son ancienneté dans l’entreprise. Tout ceci moyennant l’engagement du salarié « non renouvelé » (et non pas « licencié ») de ne pas porter l’affaire devant les prud’hommes.

Le non-renouvellement d’un CDD dans ce contexte ne peut pas faire l’objet de prud’hommes

En fait, le recours éventuel aux prud’hommes n’aurait lieu d’être que pour des faits en lien avec l’accomplissement du CDD qui vient de se terminer. En revanche, le non renouvellement de ce CDD relèverait, en cas de contestation, du droit commun des contrats c’est-à-dire des tribunaux judiciaires. L’engagement de ne pas porter l’affaire devant les prud’hommes en échange du chèque de non renouvellement du CDD serait donc parfaitement cohérent sur le plan juridique. Sinon, la réforme n’aurait aucun intérêt. La motivation du non renouvellement d’un CDD arrivé à échéance (ex : perte de clients importants) ne serait pas obligatoire pour l’employeur et relèverait de la simple courtoisie, justement pour éviter qu’un juge quelconque vienne – abusivement -, avec  la prétention de contrôler la motivation, requalifier en « licenciement » le « non renouvellement » d’un CDD accompli jusqu’au bout, en invoquant, – tout aussi abusivement – l’engagement moral pris par l’employeur dans la « lettre d’intention », laquelle, répétons-le, serait un contrat de droit commun conclu de gré à gré et non pas un contrat de travail.

Le rôle de la lettre d’intention

A noter que la « lettre d’intention » devrait être signée par l’employeur initial pour tous les CDD successifs envisagés avec un salarié ; une telle « lettre d’intention », distincte du contrat de travail, serait – répétons-le – non pas un 2e contrat de travail, mais un contrat parallèle de droit commun, conclu de gré à gré. On peut envisager que cette « lettre d’intention » soit, à l’issue d’un des CDD, reprise ultérieurement – c’est-à-dire  « endossée » directement, sans délai, en bloc (sans pouvoir être morcelée pour le reste de la « chaîne ») – par un autre employeur librement choisi (y compris hors du groupe du premier employeur ou hors du bassin d’emploi initial),  lequel prendrait la suite de la « chaîne » sans interruption, ce qui éviterait à l’employeur précédent  de verser le chèque de « non renouvellement ».

Les avantages de la chaine de CDD pour les entreprises

D’où : un gros gain de temps et une réduction des incertitudes pour les entreprises, surtout les PME. Les prud’hommes coûtent en effet très cher en temps et en argent ; voire, le simple risque élevé de se retrouver devant les prud’hommes est paralysant ; l’incertitude est génératrice de repli. Au contraire, avec ce système de « chaîne de CDD », la gestion prévisionnelle des effectifs en fonction des commandes – avec un décalage correspondant à la longueur d’un CDD – peut se traduire comptablement par des provisions dont le montant est fixé à l’avance par les « lettres d’intention » évoquées supra. Le chèque remis en l’échange du non renouvellement d’un CDD et d’un renoncement aux prud´hommes devrait être autonome et, répétons-le, ne devrait pas être fonction de l’ancienneté. C’est pourquoi le CDI classique – dont le régime serait maintenu par ailleurs – ne pourrait pas fonctionner dans le cadre de ce système de chaîne. Ainsi, avec ce système de « chaîne de CDD », l’horizon serait éclairci pour les embauches éventuelles.

Démarches effectuées pour promouvoir notre proposition

L’idée d’une succession de CDD – à notre avis indispensable pour obtenir une véritable souplesse sur le marché du travail –  est contestée par certains, semble-t-il au nom du respect des règles de l’OIT : point qui est à vérifier. Cette proposition a été faite brièvement et de façon non officielle il y a quelques années devant la Commission sur l’insécurité juridique présidée en 2013-2014 par M. de Castries (AXA), sans retenir l’attention : elle s’est heurtée en effet à l’argument de l’obstacle que constitueraient les règles de l’OIT (point à étudier, redisons-le). Cette proposition a par ailleurs été soumise à des petits chefs d’entreprise, qui paraissent intéressés…

Autres publications

Jean-Paul Valuet
Consultant senior en droit des sociétés cotées. Juriste. Auteur d'ouvrages et de nombreux articles sur le droit des sociétés et actionnariat des salariés.