Doctrine sociale de l’Eglise : le rôle des « amortisseurs » pour une saine économie

par 30-04-2016Politique

De nombreuses figures du catholicisme social ont joué un grand rôle dans l’économie depuis les années 1820. Depuis, l’approfondissement des questions économiques et sociales dans la Doctrine sociale de l’Eglise montre qu’il est indispensable de maintenir vivants les « amortisseurs » de chocs liés aux variations des marchés et à la mondialisation, notamment  les corps intermédiaires Lien (associations professionnelles, syndicats, organismes de formation, centres de recherche, centre techniques de métiers, etc.) et où la liberté d’entreprendre est encouragée par l’attitude des pouvoirs publics, non seulement en paroles mais aussi en faisant régner, loin de tout forme d’étatisme, une atmosphère de confiance par des règles claires et stables. 

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Quadragesimo Anno, encyclique économico-sociale du Pape Pie XI,  demeure aujourd’hui encore la synthèse catholique la plus complète sur les questions économiques et morales. Le Pape XI, pour la rédaction de cette encyclique, a été influencé par Oswald Nell-Breuning, théologien et sociologue jésuite allemand, proche des milieux syndicaux de tendance libérale, dont les 3 principes sont : personnalité, solidarité, subsidiarité, l’accent étant mis sur l’importance des relations travail-capital et des syndicats. L’influence du P. Desbuquois, de l’Action populaire en France, s’y fait également sentir.

Pie XI pose les principes d’une économie saine selon la Doctrine sociale de l’Eglise

Les axes de l’encyclique sont dès lors tracés : condamnation du socialisme ; oui à l’action sociale ; condamnation du communisme ; non à la ruine des âmes découlant de la déchristianisation ; non à la dictature économique des monopoles , des cartels ou de l’Etat ; oui à la restauration d’une saine et libre concurrence  sous la vigilance des pouvoirs publics ;  oui au développement des associations professionnelles (ce qui n’est pas un appui au corporatisme d’Etat) ; le salaire doit être proportionnel non seulement aux besoins du travailleur, mais aussi aux besoins de sa famille ; cela étant, le niveau du salaire doit aussi dépendre des nécessités de l’économie générale : un niveau ou trop bas ou exagérément élevé des salaires engendre également le chômage. Enfin, nécessité de l’Action catholique.

Quelques autres documents de la Doctrine sociale de l’Eglise

Certains documents pontificaux sont essentiels à connaître sur les thèmes de l’économie. Nous retiendrons, pour la période récente :

  • Le discours de Jean-Paul II du 11 sept. 1999 pour la rencontre  de la fondation Centesimus annus ;
  • « Caritas in veritate » , encyclique de Benoit XVI (2009), très innovante, sur les marchés financiers ;
  • La lettre à Gordon Brown sur les travaux du G20, du même pontife (2009) ;
  • Le Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise (Conseil Pontifical Justice et Paix, 2004, éd. Bayard/Fleuris/Cerf, 2006)

(Cf  l’ouvrage de Pierre de Lauzun, ‘Finance : un regard chrétien’, éd.Embrasure, 2013, notamment p. 152 et s. qui en constituent une bonne synthèse ).

Selon la Doctrine sociale de l’Eglise, l’activité financière n’est pas mauvaise en soi mais doit être bien orientée.

Selon Pie XI, « il n’est pas interdit à ceux qui produisent d’accroitre honnêtement leurs biens : il est équitable, au contraire, que quiconque rend service à la société et s’enrichit profite lui aussi, selon sa condition, de l’accroissement des biens communs, pourvu que dans l’acquisition de la fortune , il respecte la loi de Dieu et les droits du prochain et que, dans l’usage qu’il en fait, il obéisse aux règles de la foi et de la raison ».

« Les marchés financiers ne sont pas une nouveauté de notre époque ; depuis longtemps déjà, sous diverses formes, ils sont chargés de répondre à l’exigence de financer des activités productives. » Sans ces marchés, aucune croissance économique n’aurait lieu. ‘Les investissements à large échelle, typiques des économies modernes de marché, n’auraient pas été possibles sans le rôle fondamental d’intermédiaire joué par les marchés financiers’…. Le ‘marché global des capitaux’, grâce à une plus grande mobilité de ceux-ci,  ‘permet  aux activités productives d’avoir plus facilement des ressources disponibles.’

Compendium de la Doctrine sociale de l’Eglise précité (n° 368)

Jean-Paul II (Discours du 11 sept. 1999 pour la rencontre  de la fondation Centesimus annus – Pro Pontifice, n° 4) disait que le « processus de globalisation des marchés et des communications ne possèdent pas en eux-mêmes une connotation éthiquement négative ». Il existe un espace … « pour agir de façon  loyale et constructive , également au sein d’un secteur très exposé à la spéculation ».

Les limites du système financier moderne

En revanche, la Doctrine sociale de l’Eglise souligne les limites du système financier moderne (cf. Pierre de Lauzun précité, p. 154) : court-termisme, esprit de lucre et perte de finalité. La mobilité accrue des capitaux augmente le risque de crises financières  (Compendium préc. n° 368). Le développement de la finance risque de suivre une logique ‘ sans lien avec la base réelle de l’économie’. ‘Une économie financière qui est une fin en soi » … »se prive de ses propres racines » … »et par là de son rôle essentiel de service de l’économie réelle et, en définitive de développement des personnes et des communautés humaines »  (Compendium préc. n° 369). Pie XI dénonçait déjà ‘le seul désir de réaliser  des bénéfices rapides par un travail insignifiant’, la spéculation qui fait monter et descendre incessamment tous les prix, ‘déjouant par là les sages prévisions de la production’.

L’éthique est d’une grande importance dans la vie économique

Benoit XVI (cf Lettre à Gordon Brown préc.) note le lien entre la crise de confiance et la crise morale, soulignant l’importance décisive de l’éthique dans toute vie économique (cf Pierre de Lauzun préc., p. 158). …’Le système financier tout entier doit être orienté vers le soutien d’un développement véritable . Il faut surtout que l’objectif de faire le bien ne soit pas opposé à celui de la capacité effective à produire des biens’ (Caritas in veritate préc., n° 65). ‘Les opérateurs financiers’ doivent veiller à ne pas abuser des ‘instruments sophistiqués qui peuvent servir à tromper les épargnants’  (ibidem, n° 65).

Nos entrepreneurs d’aujourd’hui ne disent pas autre chose et n’aspirent pas à autre chose qu’une finance se mettant toujours au service de l’économie réelle et de la nécessaire stratégie à long terme du secteur productif. Les épargnants ordinaires ne sont pas les seules victimes de la sophistication abusive de certains instruments financiers. De nombreux administrateurs de sociétés, avant la crise de 2008, étaient incapables de comprendre les mécanismes des contrats et instruments financiers dans lesquels leur entreprise avait investi.

4 « amortisseurs » ont un rôle nécessaire dans une saine économie

La fonction de chef d’entreprise constitue le 1er amortisseur des chocs liés aux marchés et aux  pressions conjointes des « idéologies » et des modes que nous avons passés en revue. Chef d’orchestre autant que leader, il doit concilier harmonieusement , tout en ayant en vue  les intérêts supérieurs de l’entreprise, les intérêts des salariés, ceux des actionnaires – y compris des actionnaires familiaux s’il s’agit d’une entreprise familiale -, et également tenir compte de ceux de ses fournisseurs et de ses sous-traitants, que l’on appelle aujourd’hui les « parties prenantes » de l’entreprise. Sans oublier bien entendu  ceux de ses banquiers. (Cf extraits de la brochure de J-P. Valuet, alias Rémi Leclerc, « La valeur du travail », ESR, 1980, fichier  pdf) . L’optimisme ou le pessimisme des chefs d’entreprise joue un rôle clé dans la marche de l’économie et l’évolution de l’emploi.

2e amortisseur pour la Doctrine sociale de l’Eglise : les organisations syndicales et professionnelles de branche 

Il est certain que les négociations sociales ont trop eu tendance à être menées au niveau national depuis des décennies en France. Ce qui a rigidifié notre économie. On sait le rôle important joué par les organisations patronales – en particulier les syndicats primaires de secteurs – dans les dernières décennies pour promouvoir la modernisation des entreprises adhérentes,  mettre en oeuvre les conventions collectives, favoriser les exportations, promouvoir la normalisation industrielle, défendre les intérêts  des entreprises françaises face aux velléités réglementaires de la Commission européenne et se coordonner avec les autres organisations européennes pour défendre les producteurs européens face à la mondialisation.

On sait également l’effort réalisé par certains syndicats de salariés (CFDT)  pour promouvoir une attitude « réformiste » aux mieux des intérêts des tous les partenaires sociaux et en vue de la modernisation de notre système productif. Il est regrettable que la CFDT ait été laissée récemment seule face aux menées révolutionnaires de la CGT. A cet égard, lors des récentes tentatives de réforme du marché du travail en France, court-circuiter les branches sous prétexte de donner la priorité absolue aux accords d’entreprise n’a pas été une bonne stratégie de la part du gouvernement. D’autant que de nombreux chefs d’entreprise préfèrent ne pas se risquer à déroger aux accords de branche.

3e amortisseur : les patrimoines, individuels et collectifs

La France a su développer depuis 1945 un puissant secteur de fonds communs de placement et une épargne salariale abondante. Ces patrimoines individuels et collectifs doivent être encouragés. D’autant que les revenus non salariaux peuvent contribuer à équilibrer le freinage de la progression des salaires en période de ralentissement de la croissance. Mais la France a raté le tournant de la réforme indispensable de son système de retraites, en  refusant le rééquilibrage de la répartition par une large part de capitalisation : des fonds de pension conséquents auraient pu y contribuer, en finançant  les entreprises tout en apportant des compléments de revenus aux retraités. Remonter la pente sera long et coûteux.

4e amortisseur : l’Etat

L’Etat doit intervenir, outre ses fonctions régaliennes, à titre subsidiaire en cas de défaillance des initiatives privées. A cet égard, rappelons simplement que l’Etat doit établir des règles du jeu économique et du jeu social qui soient claires et stables, propres à favoriser l’esprit d’entreprise et les innovations, donc à inciter à l’investissement en vue du développement de l’emploi .

Autres publications

Jean-Paul Valuet
Consultant senior en droit des sociétés cotées. Juriste. Auteur d'ouvrages et de nombreux articles sur le droit des sociétés et actionnariat des salariés.