Chrétien dans la cité

par 11-12-2022Politique, Textes fondamentaux

La place du CHRÉTIEN DANS LA SOCIÉTÉ, le caractère irréductible de la personne face à tous les pouvoirs, ces questions se sont posées dès le début du christianisme et elles sont plus actuelles que jamais.  La situation politique en France contient des critères de jugement qui dépassent largement la circonstance contingente des prochaines élections. Ils expriment un jugement historique sur la présence chrétienne en France (et dans le monde) et offrent, en cette fin d’année, une occasion supplémentaire de vérifier combien elle est nécessaire et utile pour notre pays.

Il existe deux points qui explicitent ce que signifie, de manière positive, la « distance critique irréductible » envers ceux qui assument en première ligne, à partir de leur appartenance à la communauté chrétienne, le risque et la responsabilité de l’engagement politique au sens propre : Le premier degré d’incidence politique d’une communauté chrétienne vivante est son existence même, car celle-ci implique un espace et des possibilités d’expression. En raison de l’expérience fraternelle profonde qui se développe en son sein, la communauté ne peut pas ne pas tendre à avoir son idée et sa manière pour affronter les problèmes communs, tant pratiques que théoriques, à offrir comme contribution spécifique au reste de la société dans laquelle elle se trouve.

L’Église, dès son apparition dans le courant de l’histoire en tant que réalité communautaire sociologiquement identifiable, se pose comme un sujet original et, en tant que tel, comme une instance critique envers toute prétention absolue ou exclusive de quelque pouvoir que ce soit, notamment politique ou étatique. Benoît XVI observait, lors de son intervention à Vérone en 2006 : « Jésus Christ a apporté une nouveauté substantielle, qui a ouvert la voie à un monde plus humain et plus libre, à travers la distinction et l’autonomie réciproque entre l’État et l’Église, entre ce qui est à César et ce qui est à Dieu ». Un monde plus humain et plus libre naît de l’affirmation originelle, dans la communauté chrétienne, du caractère irréductible de la personne, dont nul ne peut disposer à sa guise (c’est le fondement de la démocratie) et de l’affirmation d’un sens ultime de toute chose comme une contestation de toute prétention idéologique et utopiste.

LA RÉPONSE AU DUALISME

 La nouveauté qu’à apporter le christianisme dans l’histoire n’est pas une réalité conventionnelle, elle fonde une conscience de soi nouvelle pour la personne et la communauté, qui s’exprime par un regard nouveau, valorisant toute chose, et par un effort d’action nouvelle dans tous les domaines de l’existence humaine, y compris la politique. Lorsque, comme aujourd’hui, tend à s’affirmer dans la société une idée de démocratie non pas comme « exigence de rapports exacts, justes entre les personnes et les groupes, mais comme tentative de systématisation ou, pire, comme lutte pour l’hégémonie, il ne faut pas s’étonner que l’on ait tendance à regarder d’un air soupçonneux et hostile la présence communautaire chrétienne : On taxera de fermeture, d’intégrisme ou de tentative de dictature cléricale toute manifestation de ce phénomène essentiel qui fait que le chrétien vit et agit en communion et obéissance, et donc comme communauté hiérarchique.

La proposition éducative de la communauté, avec son insistance sur l’unité organique de l’expérience chrétienne comme unité de conscience, d’explication de la réalité, d’organisation de la vie, est la réponse plus que jamais actuelle et nécessaire au dualisme entre la foi et la vie, et au relativisme qui en découle ; ces derniers représentent la plus grande tentation dans la vie de chacun et connotent même une grande partie du christianisme contemporain. Ainsi, la distinction nécessaire entre la mission de l’Église en tant que telle et la responsabilité personnelle autonome de l’individu dans le domaine politique est souvent confondue avec une autonomie mal comprise de critères et de choix par rapport à l’enseignement intégral de l’Église. La note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi « concernant l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique » (21 novembre 2002) est très claire à ce sujet : « Dans leur existence, il ne peut y avoir deux vies parallèles, d’un côté la vie qu’on nomme “spirituelle” avec ses valeurs et ses exigences ; et de l’autre, la vie dite “séculière”, c’est à- dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d’engagement politique, d’activités culturelles. »

RAISON ET NATURE

 L’expérience chrétienne authentique permet de vérifier, y compris dans les délicates dynamiques de l’action politique, combien la foi purifie constamment la raison, en l’aidant à être mieux elle-même. Comme l’a souligné le pape Benoit XVI au Bundestag à Berlin en 2011, non seulement le christianisme n’a jamais imposé à l’État ou à la société un droit révélé, mais il renvoie à la raison et à la nature liées entre elles (c’est-à-dire à l’expérience) comme les véritables sources du droit. Le rappel aux fondements anthropologiques essentiels pour la vie commune n’entend imposer à personne de « valeurs confessionnelles » mais, à travers la responsabilité des laïcs chrétiens, il veut offrir, dans l’arène du débat public et dans le respect des procédures démocratiques, un témoignage de nouveauté de vie et d’œuvres dans l’ouverture à la vérité et dans la défense de la liberté de tous, comme contribution à la redécouverte et à la défense de ce que l’homme ne peut pas manipuler à sa guise, si ce n’est aux dépens du bien commun et de la vie commune.

LIBERTÉ SANS RELATIVISME

Défendre le pluralisme

 Il n’appartient pas à l’Église de formuler des solutions concrètes – et encore moins des solutions uniques – pour des questions temporelles que Dieu a laissées au jugement libre et responsable de chacun, bien qu’elle ait le droit et le devoir de prononcer des jugements moraux sur des réalités temporelles, lorsque la foi et la loi morale le requièrent. Si les chrétiens sont tenus de reconnaître la légitime multiplicité et diversité des options temporelles, ils sont également appelés à s’opposer à une conception du pluralisme marquée par le relativisme moral, qui est nuisible pour la vie démocratique elle-même, celle-ci ayant besoin de fondements vrais et solides, c’est-à-dire de principes éthiques qui, en raison de leur nature et de leur rôle de fondement de la vie sociale, ne sont pas « négociables ».

En ce qui concerne le militantisme politique concret, il faut noter que le caractère contingent de certains choix en matière sociale, le fait que diverses stratégies sont souvent possibles pour réaliser ou garantir une même valeur substantielle de fond, la possibilité d’interpréter de manière différente certains principes fondamentaux de la théorie politique, ainsi que la complexité technique d’une bonne partie des problèmes politiques, tout cela explique le fait qu’il y ait en général une pluralité de partis à l’intérieur desquels les chrétiens puissent choisir de militer, pour exercer – surtout à travers la représentation parlementaire – leurs droits et leurs devoirs dans la construction de la vie civile de leur pays.

Ce constat évident ne peut cependant se confondre avec un pluralisme indéterminé dans le choix des principes moraux et des valeurs fondamentales auxquels on se réfère. La légitime pluralité des options temporelles garde intacte la source d’où provient l’engagement des chrétiens dans la politique, et cette dernière se réfère directement à la doctrine morale et sociale chrétienne. C’est à cet enseignement que les laïcs chrétiens doivent toujours se conformer pour avoir la certitude que leur participation à la vie politique est empreinte d’une responsabilité cohérente à l’égard des réalités temporelles.

Ludovic TROLLE

Autres publications