Dans un épisode rapporté par saint Matthieu, Jésus est qualifié de « glouton » alors que Jean Baptiste est critiqué pour son excès de frugalité (Mt 11, 18-19). Il semble en être ainsi des débats écologiques de notre époque. Pour préserver notre planète et les générations futures, devons-nous limiter notre consommation de biens matériels, ou plutôt développer les investissements dans la recherche de nouvelles techniques ?
De la frugalité heureuse à la frugalité par précaution
Le concept de « frugalité heureuse » rappelle celui de « sobriété heureuse », développé par Pierre Rabhi et repris par le pape François. Il a été accaparé par les auteurs d’un « manifeste pour une frugalité heureuse et créative » [A. Bornarel, D. Gauzin Muller, P. Madec, Manifeste pour une frugalité heureuse et créative, 2018.], dont l’introduction explique : « Le temps presse. L’alarme sonne de tous côtés. Les rapports du GIEC confirment la responsabilité humaine dans le dérèglement global. » En se fondant sur des thèses alarmistes, ils plaident en quelque sorte pour une « frugalité par précaution ».
La sobriété : une vertu
L’encyclique Laudato si’ se tourne au contraire vers une « sobriété par choix », par choix libre : « La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente, est libératrice […] Ce n’est pas une basse intensité de vie mais tout le contraire ; car, en réalité ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en sachant jouir des choses les plus simples. Ils ont ainsi moins de besoins insatisfaits, et sont moins fatigués et moins tourmentés. […] Le bonheur requiert de savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie. » [François, Laudato si’, 2015, § 223.]
Il y a, dans cette approche, une anthropologie qui s’inscrit dans la tradition d’un Thomas d’Aquin : « La sobriété se rapporte à la sagesse. » [Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-IIae, q. 149, a. 1.] La sobriété est une expression de la vertu humaine de tempérance. [Catéchisme de l’Église catholique, § 1809.] Il s’agit d’abord, dans le domaine de la morale personnelle, d’une disposition à faire le bien.
La sobriété selon Jean Baptiste
« La sobriété est le style de vie du chrétien», titrait l’Osservatore Romano en décembre 2011. Dans un discours limpide, Benoît XVI avait exposé les clés du dépouillement de Jean Baptiste. Au cours de l’Angélus hebdomadaire, le pape méditait sur la figure du Précuseur : « L’appel de Jean va au-delà de la sobriété du style de vie, et plus en profondeur : il appelle à un changement intérieur, à partir de la reconnaissance et de la confession du péché personnel2. » Voilà un propos qui trouve son écho dans la déclaration du cardinal Piacenza, qui affirme que la confession est « l’opération écologique la plus radicale que nous puissions accomplir [car le péché est] le polluant le plus meurtrier3 ».
En introduction de son propos, Benoît XVI avait décrit la personnalité et la mission du Baptiste : « En commençant par son aspect extérieur, Jean est présenté comme une figure très ascétique : vêtu d’une peau de chameau, il se nourrit de sauterelles et de miel sauvage qu’il trouve dans le désert de Judée (cf. Mc 1, 6). »
Le pape explique aux catholiques comment regarder le saint : « Le style de Jean Baptiste devrait rappeler à tous les chrétiens de choisir la sobriété comme style de vie. […] La mission de Jean […] a été un appel extraordinaire à la conversion. » Il reprend le commentaire qu’il avait fait dans son ouvrage sur Jésus : « Son baptême est lié à un appel enflammé pour un nouveau mode de pensée et d’action, lié surtout à l’annonce du jugement de Dieu et à l’imminente apparition du Messie4. »
Saint Jean Baptiste, le « nouvel Élie »
Comment comprendre cette mission de Jean Baptiste sans se replacer dans le contexte de l’Ancien Testament ? Le Second Livre des Rois raconte l’histoire du roi de Samarie, Ochozias, qui après un accident, envoie des messagers consulter le dieu Baal pour savoir s’il guérirait. Les messagers croisent sur la route le prophète Élie qui, au nom du Dieu d’Israël, les dissuade de se tourner vers Baal et les enjoint de retourner chez Ochozias. Celui-ci leur demande, à leur retour : « De quel genre était l’homme qui vous a abordés ? » Ils lui répondent : « C’é- tait un homme avec une toison et un pagne de peau autour des reins. » Le roi le reconnaît : « C’est Élie le Tish- bite » (2 R 1, 8).
On comprend que Jean Baptiste prend le costume d’Élie pour s’identifier à lui. Le baptême du Christ, devant Jean Baptiste, n’est pas de la même nature que celui qui était pratiqué par les foules qui se déplaçaient pour obtenir le pardon de leurs péchés. Le Christ n’a pas péché. Il arrive de Galilée, comme pour authentifier que Jean Baptiste a raison de se placer dans le rôle du nouvel Élie, de celui qui dissuade ses auditeurs de suivre les faux dieux. Le Précurseur appelle à préparer une route pour Dieu qui vient. Il s’agit d’un appel à la conversion intérieure, d’une sobriété qui permet de se désencombrer. On est loin de la sobriété par précaution, qui pourrait bien être un faux dieu.
Ce n’est pas par hasard si les dernières lignes de l’Ancien Testament annoncent Jean Baptiste : « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que n’arrive le jour de Yahvé […] Il ramènera le cœur des pères vers leurs fils et le cœur des fils vers leurs pères » (Ma 3, 23- 24). L’enchaînement est continu avec l’évangile de Marc, qui commence par la prédication de Jean Baptiste : « Commencement de l’Évangile de Jésus Christ, fils de Dieu. Selon qu’il est écrit dans Isaïe le prophète : “Voici que j’envoie mon messager.” » (Mc 1,1).
La mission de Jean Baptiste est bien celle de l’appel à la conversion, celle qui ramène les cœurs des pères vers leurs fils et vice versa. L’appel à la sobriété est un moyen et non un but. C’est un chemin de conversion pour préparer la venue du Royaume de Dieu.