La sobriété repose-t-elle sur le principe de précaution ? (Lettre écologique n°12)

par 1-02-2020Ecologie

Le principe de précaution propose de s’interroger sur les risques liés à une technique ou à un mode de consommation. En amont de cette analyse, il peut être utile de considérer les hypothèses qui conduisent à l’identification de chaque risque. Sont-elles si neutres qu’elles y paraissent ?

Il ne suffit pas qu’un risque soit hypothétique pour devoir l’éviter à tout prix. Les risques sont inhérents à la vie même. Faute d’une appréciation objective et raisonnée, la frugalité pourrait devenir une contrainte, personnelle ou collective. Voire un enjeu de pouvoir. De­vons-nous, par précaution, nous engager dans un mode de vie frugal ?

Prendre des précautions a peu de portée face à un risque subjectif non quantifié. Un pouvoir idéologique peut jouer sur l’émotion et imposer certains comportements. Les conséquences seront insignifiantes sur le monde, mais l’emprise bien réelle sur les personnes.

Des craintes avérées ?

Les risques locaux ou les enjeux planétaires ne se mesurent pas de la même manière.

Par risques localisés, on entendra par exemple des risques alimentaires, des risques liés aux émissions hertziennes, à l’usage de pesticides en agriculture, etc. Mais comment évaluer ces risques de façon pertinente ? Les conclusions des études n’ont pas la même force lorsqu’elles sont tirées d’enquêtes d’opinion, de simples compilations d’études, d’études menées seulement en laboratoire, ou mieux encore d’études épidémiologiques. Tel ou tel type d’étude sera privilégié selon le degré de gravité tangible, ou présumé par la société. Le coût des études épidémiologiques peut être très élevé. Mais il est parfois proportionné, au regard de celui de brusques modifications de processus industriels entiers.

En matière de risques planétaires, le consensus scientifique ne constitue pas une preuve appropriée dans l’analyse des systèmes complexes. Il ne s’agit ni d’ériger le « scepticisme » en système de pensée, ni de se contenter d’une « croyance ». S’accuser mutuellement de climato-scepticisme ou de climato-crédulité ne fait pas avancer les connaissances.

La compilation d’études de milliers de spécialistes de dizaines de disciplines ne suffit pas à chiffrer les risques. Il est insuffisant d’en appeler aux consensus qui rassemble des milliers de scientifiques qui « croient que… ». Cette démarche relève de l’argument d’autorité, mais l’autorité des arguments n’en est pas pour autant renforcée. Seules les approches systémiques permettent de quantifier des relations de cause à effet.

Consommation et gaz carbonique

Dans la mesure où de plus en plus de scientifiques se tournent vers le soleil pour chercher les causes des variations climatiques, faut-il pour autant se désintéresser de nos émissions de gaz carbonique ? L’impact carbone a le mérite d’être un indicateur qui met en commun pratiquement l’ensemble de nos consommations. Il permet à chacun de s’interroger sur ce qui est de l’ordre du superflu ou du nécessaire. La frugalité devient un outil pour progresser vers plus d’être et non pas simplement vers moins d’avoir. On ne se contente pas d’une logique de frugalité par précaution climatique. On fait le choix d’une vie plus vertueuse. En émettant moins de gaz carbonique, chacun peut mesurer son degré d’ouverture au spirituel et de solidarité avec les plus démunis. Ici, solidarité rime avec responsabilité plus qu’avec redistribution.

Partage contre pénurie

Le partage ne relève pas de la logique économique, mais d’une vertu et davantage encore d’une conversion. Selon quelle règle faudrait-il répartir tous les biens de la terre pour les redistribuer « équitablement » ? Tout le monde deviendrait plus pauvre, riches comme pauvres. La théorie de la « redistribution » est qualifiée d’inepte par l’économiste Bertrand de Jouvenel [1]. Pour vraiment aider les pauvres à sortir de la pauvreté, la première chose à faire serait, selon l’auteur, de cesser tout discours sur la « redistribution », qui, au fond, est un peu une variante de l’envie et a quelque chose de malthusien dans ses fondements. Or, le malthusianisme n’a jamais été au service des plus pauvres. En quoi consommer moins dans les pays riches permettrait-il de consommer plus dans les pays pauvres ?

En revanche, le partage, vu comme une vertu et fondé sur la charité, consiste à mobiliser innovations, économies, incitations, justice équitable, vertu, loi du marché, culture, croissance, sans rien exclure pour le bien des plus pauvres.


[1] Bertrand de Jouvenel, L’Éthique de la redistribution, 1951.

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