Charles de Montalembert : un héritage moral et politique d’importance

par 24-05-2019Textes fondamentaux

En un temps où l’on voudrait confiner la foi dans la vie privée, il est bon d’écouter la voix de Charles de Montalembert. Parlementaire et historien, cet orateur admiré pestait contre ces catholiques timides et impuissants dans le débat public. Pour se faire entendre dans le débat il faut aimer sans feinte les libertés publiques : liberté de conscience, d’enseignement, d’entreprendre, de la presse et liberté des peuples. Tel fut le cas de ce « catholique libéral et conservateur » qui est, entre autres à la source de la liberté d’enseignement en même temps que de la défense des monuments historiques, combattant inlassable pour la liberté des peuples comme l’Irlande et la Pologne.

Charles de Montalembert

Charles de Montalembert, une vie contre le despotisme

Charles de Montalembert naquit en 1810 à Londres, et décéda à l’âge de 60 ans à Paris. En 1830, à vingt ans, il participe avec enthousiasme à la création de L’Avenir, une revue fondée avec Lamennais et Lacordaire, dont la devise est Dieu et la liberté. Il est nommé Pair de France à l’âge de 21 ans au moment même où il ouvrait la première école libre. Il s’ensuit un procès retentissant où le tout jeune orateur fait entendre en catholique la voix de la liberté : « un gouvernement maître de l’éducation de la jeunesse pourrait façonner à son gré les opinions, les mœurs des générations. C’est installer le despotisme dans le fond des âmes » Pestant contre des catholiques qui sont exemplaires dans la vie privée et absents de la place publique, Charles de Montalembert suscite un mouvement catholique (Les devoirs des catholiques dans les élections) Il sera parlementaire des assemblées constituante et législative de la Deuxième République après la révolution de 1848. Il devient académicien, membre du Corps législatif du Second Empire où il lutte contre le régime autoritaire du second empire qu’il avait brièvement soutenu avant de se raviser.

« Il faut que la démocratie accepte la liberté comme frein et comme sauvegarde »

Comme libéral, Charles de Montalembert voit dans l’existence des corps intermédiaires (lien) une garantie pour maintenir les libertés. En 1848, il écrivait : « il faut que la démocratie accepte la liberté comme frein et comme sauvegarde. Il faut que la Constitution la liberté hots d’atteinte dans le triple domaine de la religion, de la famille, de la propriété sous peine de faire de l’égalité un niveau abrutissant et de la fraternité une amère dérision. »

Pour Charles de Montalembert, la religion a besoin de liberté, la liberté a besoin de religion

« L’avenir de la société moderne dépend d’un problème : corriger la démocratie par la liberté. Les affinités naturelles de la démocratie, d’un côté, avec le despotisme, de l’autre, avec l’esprit révolutionnaire, sont la grande leçon de l’histoire et la grande menace de l’avenir. Sans cesse ballottée entre ces deux abîmes, la démocratie moderne cherche péniblement son assiette et son équilibre moral. Elle n’y arrivera qu’avec le concours de la religion. » écrivait Charles de Montalembert. Corriger la démocratie par la liberté est un enjeu pour toutes les époques. Pour éviter toute dérive idéologique du pouvoir, il est donc nécessaire de veiller au respect de toutes les libertés fondamentales.

« La conscience humaine a le droit d’exiger qu’on ne lui pose plus ces hideuses alternatives. »

Marqués par le souvenir de la violence révolutionnaire, de nombreux catholiques du XIXe siècle en appelaient se protéger d’un régime autoritaire. Charles de Montalembert y voyait une faute spirituelle et une erreur politique car on ne peut se convertir dans les fers. : « J’éprouve une invincible horreur pour tous les supplices et toutes les violences faites à l’humanité, sous prétexte de servir ou de défendre la religion. Les bûchers, allumés par une main catholique, me font autant d’horreur que les échafauds où les protestants ont immolé tant de martyrs. Le bâillon enfoncé dans la bouche de quiconque parle avec un cœur pur pour prêcher sa foi, je le sens entre mes propres lèvres, et j’en frémis de douleurs… Je ne veux pas que le bienheureux privilège, que la sainte joie de pouvoir admirer, invoquer des martyrs catholiques, soit jamais troublée ou ternie par la nécessité d’approuver ou d’excuser d’autres supplices et d’autres crimes, si enfouis qu’ils soient dans la nuit sanglante du passé. L’inquisiteur espagnol disant à l’hérétique : la vérité ou la mort, m’est aussi odieux que le terroriste révolutionnaire français disant à mon grand-père : la liberté, la fraternité ou la mort. La conscience humaine a le droit d’exiger qu’on ne lui pose plus ces hideuses alternatives. »

La liberté de conscience a fait son chemin dans le magistère de l’Eglise

En 1965, en partie grâce aux réflexions de Charles de Montalembert, l’Eglise Catholique affirmera solennellement la liberté de conscience et la nécessaire liberté religieuse dans sa déclaration ‘Dignitatis Humanae’ reconnaissant « que ce droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l’on fait connaître la parole de Dieu et la raison elle-même ».

Avec Charles de Montalembert, la « responsabilité des laïcs » a émergé au cours du XIXe siècle

Le 19ème siècle aura connu de nombreuses figures politiques et catholiques. Il s’agissait de laïcs vivant pleinement leurs propres devoirs d’état, avec leurs occupations professionnelles, leur vie de famille, leurs engagements politiques qui mettent leurs talents, leur cœur et leur intelligence pour défendre le christianisme et promouvoir sa vision de l’homme, et lui ouvrir des chemins nouveaux au milieu des changements du siècle. La position du laïc, à cause même de son insertion dans les réalités du monde, avec les compromissions complexes que cette insertion entraîne, par exemple pour Charles de Montalembert, sa grande connaissance de l’Europe du 19e siècle, sa réflexion sur les institutions politiques et ses combats politiques, lui donne une approche pertinente sur les besoins et le rôle de l’Eglise moderne. L’Eglise libre dans l’Etat libre, ce titre donné à ses deux grands discours prononcés en Belgique en 1863 exprime son inspiration.

L’esprit de centralisation est un danger pour la vie politique

Dans l’opuscule « Du devoir des catholiques dans les élections », Charles de Montalembert alerte sur les dangers du centralisme étatique qui s’en prend aux régions aussi bien qu’aux congrégations. Il dénonce « cet odieux despotisme qui se déguise partout sous le nom d’esprit moderne ou de progrès social et qui consiste à absorber dans l’unité factice de l’Etat toute la sève et toute la force de la vie sociale. »  Ainsi à l’organisation publique de la justice il préfère la « liberté de la charité ». Il dénonce « ce funeste esprit de centralisation qui, après avoir tué en France la vie intellectuelle et politique de provinces, finira par y tuer aussi la vie charitable. Votre charité sera comme votre architecture, étroite, mesquine, pitoyable et sans vie. »

« Il faut donc ici comme partout savoir comprendre la nouveauté des temps ; non la saluer d’un sot et servile enthousiasme, mais la comprendre, l’accepter ou au moins s’y résigner de bonne foi, en tout ce qui n’est pas contraire à la conscience du chrétien… Concilier les traditions de l’Eglise avec les aspirations de la société moderne, en cherchant et pour l’une et pour l’autre une fécondité nouvelle dans la liberté, c’est une tâche admirable. »

Charles de Montalembert

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