Monseigneur Youssif Thomas Mirkis au micro de Radio Notre Dame

par 26-09-2014Actions, Mobilisation

Entretien dans le cadre d’Ecclesia Magazine, une émission de radio Notre Dame présentée par Elodie Dambricourt

Mgr Mikris, Comment allez-vous ?

Cette question est trop vaste. Il y a moi personnellement, et il y a tout mon peuple qui est dans l’œil du cyclone qui souffre depuis 2 mois, ballotté par les soucis quotidiens. Il y a 130 mille chrétiens qui ont été poussés à s’exiler de Mossoul et des villes et villages alentours. En moins de 24 heures, ils ont dû tout laisser, tout abandonner. C’est vraiment quelque chose de très dur que nous vivons quotidiennement. La souffrance est telle que nous ne pouvons prendre du recul pour donner un sens. On est dans la survie, mais il faudrait vite que l’on retombe sur nos pieds, c’est-à-dire essayer de nous ressaisir et essayer de comprendre. Nous sommes un peu dans la situation des apôtres au lendemain du Vendredi Saint. Le Samedi Saint a toujours été le centre de notre réflexion : quand Dieu semble absent, lointain, on crie et il ne répond pas : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Mais, à ma connaissance, personne n’a abjuré sous la pression des djihadistes.

Quelle est la présence de l’Etat islamique en Irak ?

Soulaimanya est située dans la région du Kurdistan. Kirkuk est historiquement disputée par le gouvernement central et la région du Kurdistan, mais avec l’avancée de l’EI, on a mis les conflits sous le boisseau, pour faire face à l’ennemi commun de tous. Les choses changent, non pas en mois, mais en heures. Les sunnites qui ont accueilli à bras ouverts l’EI, croyant qu’ils allaient être libérés du joug chiite, aujourd’hui, ils le regrettent. Ils sont prêts à collaborer avec le gouvernement irakien et avec les Kurdes pour tenir tête aux djihadistes. Mais malheureusement, ils le paient de leur vie. J’ai appris qu’il y avait une prison à Mossoul, rien que pour les chefs religieux musulmans sunnites, pour les endoctriner et les empêcher de prêcher. Il y a des martyrs musulmans. Il ne faut pas oublier ces héros qui meurent pour les droits de l’homme et la vérité. La majorité des gens se sont trompés en croyant que l’EI allait leur apporter quelque chose, aujourd’hui, ils ne savent plus quoi faire, tout le monde est perdu. Et puis, nous n’étions pas préparés, car ce n’est pas une guerre normale. Ce n’est ni une guerre chaude, ni une guerre froide. C’est une guerre contre des groupuscules, des gens qui n’ont aucune loi, qui tuent des enfants, des civils, des vieillards. C’est une guerre d’un nouveau genre.

On a l’impression que l’Etat islamique est partout ?

Ce n’est pas une impression, c’est une vérité à laquelle vous devez vous préparer. Vous vous avez un seul Mohamed Mehra, nous nous en avons 10 000. Et c’est ça qui nous fait peur. Il ne faut pas se contenter des frappes aériennes. La frilosité des Américains, les hésitations des Européens et la façon avec laquelle ils veulent toucher seulement avec un doigt, ce n’est pas ça qu’il faut faire. Il faut vraiment y aller parce que chaque jour fait reculer la paix mondiale d’une façon vertigineuse.

Le pape a parlé des prémices d’une Troisième Guerre Mondiale.

C’est tout à fait le cas. C’est tout à fait vrai. Il y a des gens qui sont décidés en face de nous, à vraiment mourir pour leur cause. Ils ont vécu un lavage de cerveau, ils ont été entraînés à mourir. Les Kurdes ont proposé un échange de prisonniers aux djihadistes. L’EI leur a répondu qu’il ne faisait pas de prisonniers : « On les a tués, vous pouvez tuer les nôtres ». La vie n’a pas de prix, la personne humaine n’a pas de prix et tout ça au nom de Dieu. Quand on regarde les films sur internet, le peu de choses que nous savons de ces gens-là, c’est qu’ils sont cagoulés, mais la moyenne d’âge est souvent de 15 à 21 ans. Ce sont beaucoup d’Européens, 1 000 Français, 1 000 Anglais, des centaines de Tchétchènes. Tous ces gens ont pu se concentrer dans cette région et laisser libre cours à leur haine et à leur soif de tuer. Il faut vraiment faire quelque chose rapidement au niveau mondial.

Beaucoup s’interrogent sur la nature même de l’islam, pensant qu’elle est dangereuse. Abondez-vous dans ce sens ?

Il ne faut pas faire d’amalgames, il ne faut pas mélanger. Parce que toutes les religions ont la tentation devenir des idéologies. Si le Christ dans le « Notre Père » nous dit, « ne nous soumets pas à la tentation mais délivre-nous du mal », c’est parce que le mal est très proche, le mal est peut-être dans l’utilisation des versets saints. Il ne faut pas mélanger la religion et les hommes. Chaque religion doit nettoyer sa maison. Je dis aux musulmans, comme nous avons fait notre aggiornamento, vous devez réformer votre religion. Apprenez de nous, nous sommes vos aînés, nous avons précédé de 600 ans l’islam. Tout verset pris à la lettre tue.

Que pensez-vous des politiques que vous avez rencontrés ?

Je demande aux politiques d’être courageux et d’oser. Je félicite le ministre des Affaires étrangères français qui a été le premier à appeler à une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, le 7 août. L’opposition et la majorité ont tous joué la même note. Au nom des Irakiens, je dis merci.

Un mot encore sur les réfugiés irakiens.

La lettre « N », pour Nassarah, terme qui désigne les chrétiens dans le Coran, a été inscrite sur leurs portes, le jour où ils ont quitté Mossoul. Quand j’ai vu ça, cela m’a rappelé l’étoile de David. Donc aujourd’hui, il y a un nouveau nazisme qui est en train de sévir dans notre pays et dans notre région, c’est trop dangereux de laisser faire. Pour les réfugiés, il faut aussi penser à l’hiver qui va arriver.

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