Malgré les freins, que peut faire le politique pour un ordre économique plus juste ? (2/2)

par 20-06-2015Economie

Dans un précédent article, Pierre de Lauzun montrait que les contraintes à un ordre économique plus justes sont, à l’évidence, nombreuses. Il propose de tenir compte de divers facteurs qu’il expose ci-dessous et appelle le politique à redéfinir ses priorités.

pierre de lauzun ordre économique juste

Le poids de la mondialisation

Le poids de la mondialisation est on l’a vu considérable. L’ampleur des opportunités qu’elle offre aux personnes, entreprises et pays, malgré ses inconvénients fait qu’une stratégie autarcique est pratiquement infaisable. Non d’un point de vue ultralibéral, mais de façon pratique. Cela ne veut pas dire qu’une marge de manœuvre plus grande ne puisse pas être reprise. Mais elle ne fera pas disparaître l’immersion et donc l’impact des flots du grand large. Des communautés très limitées localement peuvent vivre autrement. Mais ce n’est pas une solution pour la grande majorité.

La faiblesse relative des institutions de coordination

Mais on l’a vu, au niveau international, il faut constater la faiblesse relative des institutions de coordination, le G 20, le FMI etc., malgré, à l’occasion, certaines réalisations techniques trop limitées (normes prudentielles, coordinations sur les paradis fiscaux etc.).

Un Etat paralysé dans ses fonctions de base

Dans un tel contexte l’action publique rencontre une limite intrinsèque, même quand elle est justifiée. D’autant plus que l’Etat est paralysé par l’excès de ses interventions passées, de son endettement démentiel et des attentes exagérées de la population. Cela le handicape pour assurer même ses fonctions de base, qu’il faudrait par ailleurs renforcer de façon urgente (armée, justice etc.). Il est donc vital qu’il regagne des marges de manœuvre en hiérarchisant énergiquement ses priorités.

Les limites de l’Union européenne

Au niveau européen on rencontre une autre limite intrinsèque, le fait que l’Europe n’est pas une nation, qu’il n’y a pas de peuple européen. L’action commune est perçue comme technocratique, et à raison car elle l’est. Et ce qui n’est pas technocratique est le fruit de palabres multilatéraux opaques. Par ailleurs elle a mis en place un processus de transfert de pouvoirs considérables à des autorités non politiques (CEDH, BCE, etc.) étrangères à la perspective ici dessinée. A cela s’ajoutent les problèmes structurels de l’euro, monnaie imposée par idéologie à une zone beaucoup trop hétérogène économiquement, socialement et politiquement : cela a été une erreur majeure, mais il est très difficile d’en sortir techniquement et politiquement.

Un faible recours du politique à la subsidiarité

La prise en charge collective de l’avenir commun de l’humanité et notamment de la permanence de la vie sur terre doit être admise comme horizon commun de nos décisions. Elle introduit une contrainte supplémentaire majeure. Dans une mesure importante, c’est en revanche au niveau des personnes et des communautés qu’il reste une marge de manœuvre et de progrès. Dans la période récente on a relativement peu fait appel à la possibilité d’élaborer et de diffuser des éléments d’éthique, une vision différente de la société. Soit pour orienter l’action économique ou financière classique. Soit de façon beaucoup plus ambitieuse, en reconstitution de communautés, voire de circuits et d’entreprises à culture différente. Tout en libérant d’un autre côté les énergies entrepreneuriales, qui ne sont pas qu’économiques mais aussi associatives. C’est dans une large mesure là que peut se jouer la partie.

Ces contraintes doivent conduire le politique à une révision en profondeur de ses priorités.

La levée de l’impôt a atteint ses limites

Sa capacité à lever l’impôt atteint ses limites, à un niveau de prélèvement d’ailleurs très élevé. Et d’un autre côté il doit se préoccuper de la capacité de la communauté nationale à garder une certaine maîtrise de son destin. Le rêve social-démocrate d’une société entièrement régulée par l’Etat, du berceau à la tombe, se confirme définitivement hors de portée. En termes de justice distributive, il faut maintenir une solidarité élevée, bien sûr, mais beaucoup plus concentrée d’un côté sur les besoins les plus sensibles, et de l’autre sur ce qui est vraiment facteur de communauté, et donc d’abord sur la famille. Le tout en réduisant drastiquement les automatismes et les prébendes. Il ne peut s’agir de redistribuer plus mais de redistribuer moins et mieux. Mais cela suppose un discours exigeant, incompatible avec la dénonciation de l’austérité. L’austérité dominante, d’ailleurs limitée, n’est pas bien orientée. Mais une certaine forme d’austérité relative est inévitable.

Remettre en cause le transfert des pouvoirs au niveau européen

Une remise en cause majeure des transferts de pouvoirs au niveau européen est elle aussi inévitable. Elle touche aussi bien la Commission que la Cour européenne des droits de l’homme, ou la BCE. Cela pourrait aller jusqu’à la sortie de l’euro (malgré les difficultés considérables de l’opération), mais vise au moins la remise en cause de certains principes du marché unique, et une révision de la porosité de la zone pour ce qui est du commerce international. En bref une révision des traités. Ce qui nous rapproche des positions britanniques même si la convergence n’est pas totale (compte tenu de leur approche très libérale). Mais le chemin est ardu : il s’agit de renverser cinquante ans de pratique et plus encore, une utopie consolatrice.

Faire confiance aux entreprises et à tous les acteurs de la société civile

La libération des énergies entrepreneuriales, qui est aussi une œuvre de justice distributive bien comprise (donner à chacun la place qu’il convient dans la société), suppose des réformes importantes. En seraient bénéficiaires l’entreprise d’abord, évidemment, sur quoi je ne m’étendraipas. Mais aussi d’autres domaines comme le champ associatif et le tiers secteur : la désoviétisation de l’enseignement est ainsi un champ majeur de libération des énergies, sans doute même la priorité absolue. Parallèlement, on l’a vu, la solidarité doit intervenir pour permettre le maintien de tous dans la vie sociale. Mais cela ne se fera pas par la garantie de l’emploi mais par une forme de flexisécurité. Là aussi ce sera au fond justice. Entreprises et associations ne sont pas des communautés ayant vocation à la permanence. La préoccupation doit aller aux personnes et aux communautés: c’est envers elles que s’exerce la solidarité. Pas dans la survie d’entreprises non viables.

Prêter attention au capital, facteur d’orientation de l’économie et d’exercice du pouvoir

Dans le même esprit de rendre leur force aux bases, le politique devrait porter une bien plus grande attention au capital, notamment aux actions, car outre que le développement se finance avec des fonds propre, c’est le facteur principal d’orientation de l’économie et d’exercice du pouvoir. Et il ne faut pas en laisser le monopole aux forces très puissantes qui agissent au niveau international, que nous avons décrites. Cela devrait conduire notamment non seulement à réduire massivement le rôle de la dette, en particulier de la dette publique qui est pour l’essentiel parasitaire, mais surtout à souligner le besoin d’instruments collectifs d’accumulation et de détention de ce capital. Pour ne citer que trois outils majeurs pour ce faire : fonds de pension, fonds souverains, et fondations devraient faire l’objet tous trois d’un effort collectif prioritaire et donc d’avantages juridiques et fiscaux à la hauteur de l’enjeu.

Privilégier la participation et le long-terme pour une économie de bien commun

Le jeu des marchés doit être orienté dans le sens du bien commun, ce qui veut dire organisé dans le sens d’une participation transparente de tous ceux qui le désirent, sans effet de rente ou captation (justice commutative) ; parallèlement l’organisation des marchés financiers doit être repensée, non pour les anesthésier mais pour les orienter dans un sens plus transparent et à plus long terme. Il faut d’autre part d’une orientation des investissements dans un sens à la fois responsable et exigeant, sur la longue durée : un investissement réellement socialement responsable.

Rémunérations élevées doivent rimer avec responsabilité

–  Les rémunérations élevées ne sont pas à condamner en soi. Mais il faut vérifier trois points : le fait qu’elles sont obtenues de façon légitime (par des processus économiques fonctionnant correctement : justice commutative) ; l’acceptation d’un niveau de solidarité nationale équitable justice distributive) ; enfin elles doivent s’accompagner d’une véritable responsabilisation des fortunes ainsi acquises sur leur effet à long terme, avec mise en jeu juridique et financière en cas de faillite : question de responsabilité qui relève des deux concepts de justice. L’ensemble implique une révision déchirante de l’image que la collectivité se fait d’elle-même et de ses priorités. Mais surtout un effort de longue haleine. Ce qui n’est pas compatible avec des promesses électoralistes fondées sur le maintien de situation acquises ; mais suppose un horizon d’effort en commun, pour recréer une véritable communauté de destin.

Autres publications

Pierre de Lauzun
Ancien élève de l'ENA et de l'Ecole Polytechnique qui a fait sa carrière dans la haute fonction publique et le domaine bancaire et financier Essayiste